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THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre dans le monde arabe

Le théâtre arabe depuis 1967

Après 1967, le théâtre connaît une nouvelle mutation. La guerre de Six Jours, qui voit la déroute des armées arabes en juin 1967, l'évolution tragique du problème palestinien, la guerre du Liban, la guerre irako-iranienne et l'isolement de l'Égypte après la signature des accords de Camp David, tous ces événements bouleversent profondément les Arabes, ébranlent leurs certitudes, leur révèlent la faillite des régimes militaires ou conservateurs. Cette crise que traverse le monde arabe n'a pas manqué d'avoir ses répercussions sur le théâtre. Des auteurs d' avant-garde comme le Syrien Saadallah Wanūs, les Marocains Abdul Krim Bourachid et Ahmad El-Iraqī et les Égyptiens Salāh Abdul Sabour, Nagīb Sorour, Saad ad-Dīn Wahba, Aly Salem et Fawzy Fahmy écrivent des pièces où ils expriment leur colère, analysent les raisons de la débâcle de 1967 et des divisions du monde arabe, dénoncent les régimes bourgeois ou pseudo-socialistes qui sapent la démocratie, bafouent les libertés et méconnaissent les droits sociaux. Fortement influencés par Brecht (Wanūs, Sorour), Beckett et Ionesco (Salāh Abdul Sabour, Wanūs) ainsi que par l'évolution du théâtre occidental après Mai-68, ces auteurs optent pour un théâtre de communication avec le public. Dans Soirée à propos du 5 juin, Wanūs adopte certaines techniques du Living Theatre, provoque les spectateurs afin de les associer au jeu et de libérer leur spontanéité créatrice. Il prône, comme les autres écrivains d'avant-garde, un retour aux sources, une mise en valeur des traditions populaires : comédie improvisée (karagöz, théâtre des marionnettes), fables et moralités théâtrales (fable de l'éléphant dans al-Fīl yā malik az-Zamān de Wanūs), exploitation d'al-Halqa dans le théâtre du Marocain Bourachid, adaptation pour la scène des Mille et Une Nuits et des légendes de geste, intégration de certains éléments folkloriques dans le spectacle : chant, danse, zār, exercices acrobatiques, scènes animées par al-muqallid, al-hākī, le rāwī et le sāmir. De la sorte, ce spectacle deviendra une fête populaire, mais dans ce théâtre politique la fête et la dénonciation ne font qu'un.

Ce théâtre a frôlé le chef-d'œuvre dans les drames poétiques de Salāh Abdul Sabour (1931-1981) qui parvient à concilier Eliot, Ionesco, Maeterlinck et le patrimoine arabe. Mais il faut reconnaître que la plupart des pièces manquent d'envergure. De plus, les œuvres s'attirèrent bien souvent les foudres du pouvoir. En Égypte, une censure particulièrement vigilante aurait interdit la représentation d'une centaine de pièces entre 1967 et 1982. Né dans un milieu hostile, ce théâtre n'a pas pu s'épanouir librement : certains auteurs ont d'ailleurs préféré émigrer, d'autres s'enfoncent dans le silence ou, assagis, écrivent sans retenue pour le Boulevard et la télévision. L'afflux des pétro-dollars dans le monde arabe, la transformation du Caire, entre 1974 et 1978, en un lieu de plaisir pour certains ressortissants de l'Arabie Saoudite et des pays du Golfe, l'ascension sociale d'une multitude de commerçants et d'affairistes égyptiens grâce à la politique économique de la « porte ouverte » adoptée par Anouar el-Sadate et surtout l'existence d'un public arabe féru de vidéocassettes ont contribué au succès du Boulevard dans les pays arabes. Ce théâtre, qui pille sans vergogne les œuvres étrangères ne doit à aucun prix déranger, ni choquer. Il se moque gentiment des prétentions aristocratiques des nouveaux riches et se sert d'une mise en scène somptueuse pour projeter le spectacle dans un monde irréel qui satisfait, chez un public frivole et en grande partie analphabète, le goût de l'illusion et le désir de s'identifier avec les « nababs ». D'où le succès excessif des farces d'al-Muhandis[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres (Sorbonne), agrégé de l'Université, interprète à l'O.N.U., Genève

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