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THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre en Afrique noire

Existe-t-il des formes traditionnelles proprement africaines du théâtre ? Sans doute serait-il nécessaire, au préalable, de se demander ce que recouvre la notion même de théâtre. Suivant le sens de la réponse, on pourrait alors soit conclure à la réalité d'un théâtre traditionnel en Afrique noire et en étudier les manifestations les plus caractéristiques, soit convenir, non sans regret, que l'ensemble des rites et des liturgies mis en scène par les sociétés africaines, et dont le contenu s'exprime par le moyen des paroles, de la musique et de la danse illustrant l'action dramatique, n'ont que l'apparence du théâtre, mais, trop chargés de sacré, ne sauraient être confondus avec lui. Alors le théâtre moderne, qui cherche la voie de son avenir, perdrait peut-être la chance de son renouvellement en négligeant ce retour aux sources.

Aux yeux de certains amateurs conscients de l'art théâtral, la singularité de ce dernier, son autonomie, sa gratuité dans bien des cas doivent le différencier de tout ce qui est, peu ou prou, entaché d'intentions religieuses ou magiques. Une pièce dont le témoin ou l'acteur privilégié est une divinité ou un génie, même si elle se joue devant un public, reste en dehors de son domaine. Charles Béart, qui a le plus fait pour susciter, en Afrique occidentale, dès le lointain entre-deux-guerres, un théâtre africain de langue française, affirmait catégoriquement : « Il y aura théâtre quand des acteurs qui ne croiront plus aux mythes re-présenteront ces actions dramatiques pour res-susciter dans l'âme du spectateur, par jeu et pour le temps du spectacle, quelque chose du sentiment des croyants ou toute autre émotion. »

Une position moyenne tendrait à situer les formes africaines du théâtre, avec certaines formes grecques archaïques, dans ce qui pourrait se définir comme un préthéâtre : « Le théâtre en naîtra quand viendra la désacralisation » (C. Béart).

Du religieux au théâtral

Jusqu'à l'indépendance de la république de Guinée, un peuple forestier de la côte, les Ba ga, célébrait chaque année, à la fin de la saison des pluies qui prélude à la récolte du riz, la fête d'une déesse de la fécondité nommée Nimba. Celle-ci était représentée par (mieux vaudrait dire : venait « habiter ») un masque de bois sombre, aux dimensions impressionnantes, pesant quelque soixante kilos, que portaient deux robustes danseurs dissimulés sous une haute robe de fibres. Dans son souci autoritaire de l'unité nationale, le gouvernement guinéen a interdit depuis plusieurs années les fêtes coutumières et leurs costumes, ainsi que tout ce qui peut rappeler le particularisme des diverses ethnies. En compensation, il a entrepris de les séculariser, en les incorporant dans les programmes de son Théâtre national. C'est ainsi que les spectateurs européens et américains ont pu voir le masque de la déesse Nimba présenté sur scène, dans une adaptation profane de sa fête, par des danseurs professionnels venus de toutes les régions de la Guinée.

Voici donc un exemple de cérémonie religieuse et sociale muée en spectacle de théâtre. Elle n'est plus jouée par le peuple baga, mais par des Noirs en majorité étrangers à son ethnie, sur un scénario laïcisé ; et la ferveur de naguère, religieuse, enrichie de reconnaissance pour les fécondités passées et d'espoir dans celles de l'avenir, n'est pas exactement remplacée par celle qui naît du seul vertige de la danse. Les costumes eux-mêmes ne sont pas toujours d'origine. Ils participent désormais de l'éclat douteux des textiles artificiels superposés aux accessoires d'autrefois. Et quelques danseuses aux seins nus destinées à pimenter le spectacle sont trop éloignées de la nudité féminine traditionnelle pour ne pas évoquer le plateau des Folies-Bergères.[...]

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Écrit par

  • : journaliste, membre correspondant de l'Académie des sciences d'outre-mer

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