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THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre en Afrique noire

Le théâtre des ethnologues

Ces éléments de la définition d'Aristote, on les retrouverait, plus ou moins complets, plus ou moins lisibles, dans le spectacle de nombreuses cérémonies africaines.

Les fêtes de funérailles sont souvent conçues autour d'un scénario où revivent les principaux épisodes de la biographie du défunt : la chasse ou la guerre pour l'homme, le travail des champs ou les tâches ménagères pour la femme ; les danses mimétiques et les chants évoquant les mêmes occupations se retrouvent dans le répertoire des jeunes gens et jeunes filles initiés. S'ordonnent aussi comme un spectacle dramatique les prières chantées et dansées pour obtenir la pluie ou fêter les récoltes ; on voit le prêtre de la Terre ployé en deux, comme s'il transportait la récolte entière, sous le poids symbolique des premiers épis de mil qu'il a cueillis. Mime, aussi bien, le rituel minutieux que présente le cinéaste-ethnologue Jean Rouch dans son film tourné au Niger : La Chasse au lion à l'arc. Le chasseur initié qui, dans le secret de la société des chasseurs et protégé par un cercle magique, prépare le poison des flèches, vide dans la marmite où bout celui-ci des calebasses d'eau. Chaque fois, il les retourne en croisant les poignets, puis se jette lui-même sur le sol, bras et jambes croisés. Ainsi le fauve blessé tombera, les membres paralysés. Cependant que le chœur de ce théâtre sans public chante les litanies qui donneront la force au poison.

Un magicien-guérisseur de l'Afrique forestière vient traiter un malade. Sa quête dramatique de la maladie, improvisée sur un canevas traditionnel, aboutit à une véritable partition d'opéra, qu'un musicologue, Herbert Pepper a, voici quelques années, entièrement notée. Partition d'autant plus intéressante que, dans ces régions où la hauteur du ton joue un rôle capital dans la détermination du sens des mots, tout instrument de musique est capable de « parler » la langue. Ainsi peut s'instaurer un véritable dialogue entre la voix du guérisseur (nganga), les clochettes de bois qu'il agite (madibou), le chœur des assistants, imitant les plaintes du malade, les hochets (moukouanga) et le tambour (ngoma). Et, de temps en temps, la petite flûte du nganga vient constater fièrement les résultats obtenus : « Malin, malin... », dit la flûte. Étape par étape, le guérisseur détermine le siège de la maladie ; puis le lieu où son client est tombé malade ; la cause : son père défunt ; le remède : un sacrifice ; enfin la formule médicamenteuse qui doit guérir le malade... Ne s'agit-il pas là aussi d'une forme primitive du théâtre ?

Dionysos, le dieu dont le culte fut, en Grèce, à l'origine du théâtre, est souvent représenté par un masque sur les peintures de vases. Rien n'est plus significatif du théâtre. L'homme lui emprunte une personnalité seconde. Le mot latin persona a signifié « masque » avant de prendre le sens de « personnage », de « caractère » ou de « personne ». En Afrique noire comme en Grèce, le masque incarne la divinité, le héros ou, plus simplement, le type, et son comportement mêle symbolique, sacré et éventuellement pitrerie. Lors des sorties qui terminent ce que les Dogon des falaises de la boucle du Niger appellent les « secondes funérailles » (le dama), on voit danser ensemble le premier des masques, le long sirigué, auquel son porteur fait toucher le sol alternativement en direction du levant, puis du couchant, pour rappeler la course diurne du Soleil ; le mystérieux kanaga, en forme de double croix ; le masque-antilope, celui du lièvre, de la jeune fille peul... Avec l'ouverture du pays aux touristes et aux ethnologues, on vit s'y ajouter le masque madam, avec son appareil photographique, et l'équipe entière des enquêteurs, avec ses interprètes,[...]

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Écrit par

  • : journaliste, membre correspondant de l'Académie des sciences d'outre-mer

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