THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre en Afrique noire
Naissance d'un théâtre moderne
Au sein de l'Afrique indépendante, un nouveau théâtre est en train de naître, qui, peu à peu, prend la place des cérémonies religieuses et sociales de naguère. Cette catharsis qui, selon Aristote, « pour les gens peu cultivés, remplace la philosophie », les foules africaines iront désormais la chercher sur la scène, sans abandonner pour leur part la danse, ni sans doute le délire dionysiaque de quelque syncrétisme religieux dont les Noirs d'Amérique leur ont donné l'exemple. Charles Béart souhaitait qu'un jour « un théâtre populaire puisse combler le vide laissé dans les âmes par la tradition morte ». Déjà, dans toute l'Afrique, la littérature dramatique se multiplie, en même temps que les pièces improvisées.
On voit se dessiner deux tendances divergentes : chez les uns, le rappel du passé légendaire ou historique, directement issu du répertoire des griots traditionalistes ou de l'exaltation patriotique ; chez les autres, une prise de conscience du présent, avec les comédies de mœurs et de critique sociale, directement inspirées des problèmes de l'Afrique moderne. Dans les deux cas, le théâtre naissant se veut utile, engagé, comme l'étaient les spectacles religieux. La Côte-d'Ivoire de 1960, à la veille de ses grandes réformes sociales, s'attaquait, par exemple, au problème de l'héritage matriarcal et du pouvoir exorbitant de l'oncle maternel, ou à celui de la dot et de la polygamie. Le Sénégal de 1966 présentait sur le stade, à l'occasion du festival de Dakar, l'épopée à grand spectacle des Derniers Jours de Lat Dior, rappel héroïque de la lutte soutenue contre le général Faidherbe par le dernier des rois sénégalais.
On voit s'établir des divisions géographiques significatives, et d'abord entre pays anglophones et pays francophones, ces derniers écrivant leur théâtre en français, les premiers (Ghana ou Nigeria) dans leurs grandes langues régionales. Au Ghana, au Nigeria, au Togo, les pièces musicales abondent. Au Nigeria, autour du grand centre de culture qu'est l'université d'Ibadan, se déplacent de véritables « tournées » d'opéra. Les spectateurs des petites villes et des villages y découvrent, chantés en langue yorouba, sur des partitions musicales à demi improvisées, aussi bien leur passé légendaire et divin que des adaptations de la littérature nigérienne actuelle, tel le fameux roman d'Amos Tutuola, The Palm-Wine Drinkard. Il s'agit ici d'une Afrique authentique. De même avec l'admirable petit drame de Keita Fodéba, souvent présenté par la troupe nationale guinéenne, Minuit : drame anticolonialiste (et c'est encore l'une des tendances des pièces africaines de langue française), inspiré d'un fait réel, il atteint chez tous les publics à la plus intense émotion sans avoir recours au texte, par les seuls moyens de la mimique et de la danse que soutient une ritournelle de cora, la grande guitare soudanaise.
« Le théâtre africain, écrit Bakary Traoré, est lié à certaines structures sociales, et ce théâtre change lorsque ces dernières changent. »
On peut conclure en reprenant ce vœu d'un exégète d'Aristophane : « S'il est vrai que tout ce vocabulaire de critique et d'explication scolaire trouve à s'appliquer légitimement, les liens ne sont pas rompus avec l'état en quelque sorte préthéâtral – où l'on a tendance aujourd'hui à reconnaître et à essayer de retrouver les formes les plus pures de la joie du théâtre, celles qui pourront assurer son plus bel avenir par la fidélité à son plus beau passé » (H. Debidour).
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Écrit par
- Pierre ICHAC : journaliste, membre correspondant de l'Académie des sciences d'outre-mer
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