THÉÂTRES DU MONDE Le théâtre japonais
Le théâtre moderne
Le shimpa
Avec l'occidentalisation, le kabuki va toutefois perdre la situation de quasi-monopole qui avait été la sienne depuis le déclin du théâtre de poupées, et, dès la fin du xixe siècle, des intellectuels proches du Mouvement pour les droits civiques vont s'efforcer d'imposer sous le nom de shimpa (« courant nouveau ») un théâtre à thèmes contemporains destiné à véhiculer les idées libérales auprès du grand public. La présentation scénique et le jeu d'acteurs restent toutefois très fortement dépendants du kabuki, et le répertoire s'infléchit rapidement vers des drames de mœurs à caractère larmoyant qui n'offrent plus aujourd'hui qu'un plaisir nostalgique à quelques rares vieux habitués. Si le shimpa ne saurait donc plus constituer pour le kabuki un concurrent sérieux, il n'en va pas de même du shingeki, le « nouveau théâtre » à l'occidentale autour duquel a fini par s'organiser l'essentiel de la vie théâtrale.
Le shingeki
Le genre doit beaucoup aux initiatives de l'écrivain et metteur en scène Osanai Kaoru (1881-1928), qui fonde en 1907 le Théâtre Libre (Jiyū gekijō) – dont la dénomination traduit clairement la vocation naturaliste – et qui s'associe avec un acteur de kabuki d'esprit singulièrement ouvert, Ichikawa Sadanji II, pour représenter les grands noms de la dramaturgie occidentale de l'époque (Tchekhov, Ibsen, Maeterlinck, Gorki...). Le groupe, qui fonctionne sur une base expérimentale à raison de deux ou trois courtes séries de représentations annuelles, disparaît en 1919. Osanai, qui a entre-temps effectué un voyage d'études en Occident au cours duquel il a pu observer les méthodes de travail en vigueur chez Craig, Reinhardt et surtout Stanislavski, dont l'exemple le marque profondément, participe en 1924 à la fondation par Hijikata Yoshi (adepte quant à lui des idées de Meyerhold) du Petit Théâtre de Tsukiji, première salle permanente destinée au répertoire contemporain. La troupe, qui se consacre tout d'abord de manière exclusive au domaine étranger, accueillera toutefois à compter de 1926 des pièces japonaises, à commencer par L'Ermite, de Tsubouchi Shōyō, animateur lui-même entre 1905 et 1913 d'une société littéraire (Bungei kyōkai) où il avait notamment fait représenter ses propres traductions de Shakespeare. La disparition prématurée d'Osanai va toutefois précipiter la rupture entre les diverses tendances esthétiques et politiques qui avaient jusque-là tant bien que mal coexisté au sein de l'équipe, et la fondation par Hijikata (1929) de la Nouvelle Troupe de Tsukiji, de tendance expressionniste, témoigne de la radicalisation qui s'opère à l'époque dans le monde du théâtre japonais, où plusieurs groupes révolutionnaires s'efforcent d'imposer un théâtre visant à l'action politique immédiate sur le public populaire.
Au début des années 1930, une tendance conservatrice va cependant s'affirmer, confortée du reste par la sévère répression policière qui s'abat sur le théâtre prolétarien à compter de l'incident de Mandchourie (1931), qui marque un tournant décisif dans l'évolution autoritaire du régime. Le mouvement aboutira à la fondation par les dramaturges Kubota Mantarō, Kishida Kunio et Iwata Tomoo (ces deux derniers se réclamant de l'exemple de Copeau) du Bungaku-za (Théâtre Littéraire), label qui indique assez bien les choix esthétiques et la volonté de désengagement politique qui sont les leurs. Le Bungaku-za, qui donne sa première représentation en 1938, sera d'ailleurs l'unique troupe de shingeki à poursuivre ses activités après que le gouvernement eut prononcé (en août 1940) la dissolution des troupes de gauche, ou présumées telles, et emprisonné leurs directeurs. Fortement centrée[...]
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Écrit par
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Michel WASSERMAN : agrégé de l'Université, docteur en études orientales, professeur à l'Institut franco-japonais de Tōkyō
Classification
Médias
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