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THÉÂTRES DU MONDE Vue d'ensemble

Les développements de l'art théâtral se distribuent, à travers le temps et l'espace, selon deux versants : celui de l'univers occidental, longtemps réduit à la presqu'île Europe, et celui qui comprend non seulement l'Asie, mais l'Afrique, avant et après la pénétration de l'islam, l'Océanie et l'Amérique précolombienne. De l'aube des Temps modernes à la fin du xixe siècle, la suprématie technique de l'Occident, assurant la puissance de ses armes, a tantôt détruit par la conquête, tantôt adultéré par la colonisation les modes de vie propres (et communs) aux deux tiers des habitants de la planète. Elle n'a épargné que les peuples de l'Extrême-Orient, dont les conceptions spirituelles, les structures socio-politiques et le patrimoine culturel ont longtemps opposé plus de résistance à la pénétration étrangère. Les réseaux d'échanges économiques entre l'Europe et ces mondes naguère encore lointains n'ont, au regard des produits de la création artistique, déterminé dans l'un ou l'autre sens que des courants d'influence trop superficiels, trop intermittents, pour affecter les caractéristiques respectives de leur histoire, du moins jusqu'à une période assez récente.

Qui dit tradition dit transmission de notions et de pratiques immémoriales, et comme telles révérées. Il n'est de tradition que religieuse ; dans tous les ordres d'activité, la tradition est le passé sacralisé, élevé à la dignité de l'intemporel.

C'est une constante universelle que le simulacre dramatique a son berceau dans le temple, sa matrice dans l'office sacré. Il se trouve seulement qu'en Occident il s'est de très bonne heure laïcisé. Par la médiation de l'hellénisme, les rites primitifs des cultes agraires, assortis de magie, de sacrifices sanglants et de cannibalisme, ont évolué en quelques siècles vers une religion de la cité, d'inspiration plus rationnelle que mystique, humaniste par son interprétation de l'aventure humaine. La tragédie grecque, tout en gardant, dans sa dramaturgie comme dans l'espace architecturé où elle se déploie, l'empreinte du temple et du rituel, sous-tend la trame lyrico-épique des fables qu'elle met en œuvre par une articulation dialectique qui en condense la charge émotionnelle : le drame noue un conflit moral ; il se ferme sur lui-même. Le personnage n'est pas le simple figurant d'une imagerie ; il est une personne, le double momentané de chaque spectateur. La parole intelligible, signifiante plutôt que symbolisante, prend de ce fait une importance telle qu'elle menace l'équilibre d'un système d'expression essentiellement composite, puisqu'il lui faut opérer la synthèse en action de tous les arts.

À l'inverse, même dans ses formes les moins éloignées de nos habitudes mentales, celles que vivifie – en Chine, au Japon, dans l'Inde, en Indonésie – la religiosité bouddhique, la dramaturgie orientale reste imprégnée de la même sensibilité animiste qui informe les danses sacrées de l'Afrique noire, les « mystères » tibétains, le tazy'ia persan, les liturgies de l'Égypte antique et celles des Amérindiens exterminés, quelque trois mille ans plus tard, par les conquistadors. De cette représentation d'un monde immergé dans le surnaturel – le Moyen Âge chrétien en offre en quelque mesure l'homologue, mais ordonné à l'idée de la transcendance divine, ce qui en oriente tout autrement la perspective spirituelle – on reconnaîtra des signes manifestes, d'une part, dans l'usage quasi universel du masque (cette invention est le théâtre même, la figure de son génie), d'autre part, dans l'extraordinaire fortune de la marionnette – dont Claudel écrit qu'elle est le « masque intégral et animé » – et du théâtre d'ombres.[...]

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  • : agrégé de lettres, maître assistant honoraire à la Sorbonne

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