THÉÉTÈTE, Platon Fiche de lecture
Probablement rendu public en 370 av. J.-C. (mais cette date n’est pas certaine), le Théétète occupe une place particulière dans l’œuvre de Platon. Consacré à une définition de la science, il inaugure ce que la plupart des commentateurs considèrent comme le troisième volet des dialogues platoniciens. Le premier ensemble comprend les dialogues aporétiques (du grec aporeinsignifiant « échouer », « ne pas trouver de solution »), dans lesquels Socrate conduit son questionnement de telle façon qu’au terme de l’échange, son interlocuteur se déclare égaré. Dans le second ensemble, qui débute avec le Ménon, Platon élabore l’hypothèse des Idées, selon laquelle des réalités idéelles éternelles existeraient dans un monde suprasensible, dont les réalités du monde sensible ne seraient que des copies imparfaites. Quant au troisième ensemble – le plus surprenant –, c’est celui dans lequel Platon semble se livrer à une critique, parfois féroce, de sa propre doctrine. Le Théétète forme avec LeSophiste et LePolitique un triptyque qui ébranle jusque dans ses racines la théorie des Idées.
De la sensation à la connaissance ?
Dans tous les dialogues antérieurs au Théétète, tels Hippias, Gorgias et à un moindre degré Protagoras, Platon brosse des portraits sévères et apparemment caricaturaux de ceux qu’il qualifie de « sophistes ». Ces maîtres de rhétorique, auprès desquels les riches Athéniens vont apprendre l’art oratoire afin de briller sur la scène politique, portent selon lui une responsabilité dans la condamnation à mort de Socrate par ses juges athéniens. Il en va tout autrement avec le Théétète, dialogue dans lequel le sophiste Protagoras est traité avec un très grand respect. Cela est si vrai que Socrate se fait le porte-parole de Protagoras, médiocrement défendu selon lui par le jeune mathématicien Théétète, un personnage réel dont les découvertes ont été intégrées par Euclide à plusieurs livres de ses Éléments.
Au début du dialogue, Théétète est invité à comparer science et sagesse. Ses réponses conduisent Socrate, dans un morceau d’anthologie, à comparer son art à celui de sa mère : sage-femme, celle-ci aidait les femmes à enfanter des corps, tandis que lui aide ses interlocuteurs à accoucher des idées. C’est ainsi qu’« accouché » par la maïeutique de Socrate, Théétète va proposer une définition de la science, dont Socrate repère la proximité avec les thèses de Protagoras.
En cherchant à expliciter la thèse de Protagoras, « l’homme est la mesure de toutes choses », Théétète va identifier science et sensation. Savoir consisterait à éprouver une expérience sensorielle, nécessairement individuelle. Mais si chaque individu détient la vérité – ce qu’affirme cette thèse relativiste –, alors pourquoi accorder plus de valeur aux thèses de Protagoras qu’à celles de n’importe quel homme ? Socrate retourne ainsi contre Protagoras sa propre thèse, ce qui ébranle particulièrement le jeune mathématicien. Il cherche à lui faire honte en affirmant que jamais Protagoras n’aurait cédé aussi facilement : « Tu es jeune, mon cher enfant : c’est pour cela que tu es si prompt à te laisser influencer. Mais voici ce que nous opposera Protagoras ». Platon va alors se livrer à un exercice qu’il n’avait encore jamais pratiqué : démontrer la cohérence d’une doctrine opposée à la sienne.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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