THÉÉTÈTE, Platon Fiche de lecture
Platon contre lui-même ?
Sans doute pourrait-on considérer que la première réponse de Théétète, assimilant science et sensation, se trouve réfutée par Socrate. Elle semble l’être en particulier dans la mesure où Socrate rejette l’hypothèse selon laquelle il pourrait exister une véritable connaissance de ce qui, par définition, ne cesse de se mouvoir. Cet argument donne l’occasion à Platon de donner l’un de ses plus beaux portraits de philosophe. Tel Thalès de Milet, le philosophe, « élevé au sein de la liberté et du loisir », paraît maladroit dans les affaires quotidiennes, parce que son univers se situe à une tout autre hauteur. Mais, d’une part, ce portrait du philosophe ne convient qu’imparfaitement à Socrate, Athénien qui n’a jamais vécu dans la solitude et qui, au contraire, a fréquenté l’agora sa vie durant ; d’autre part, c’est bien davantage la doctrine du « mobilisme » d’Héraclite qui est attaquée – selon laquelle rien n’est stable et tout se transforme sans cesse – que la thèse relativiste de Protagoras.
Les deux autres définitions de la science que propose ensuite Théétète, une « opinion vraie » puis une « opinion vraie accompagnée de raison », donnent apparemment l’occasion à Socrate de défendre à nouveau l’hypothèse platonicienne des Idées. Mais la comparaison de l’âme avec une tablette de cire, conduite dans l’examen de la seconde définition de la science, est plutôt favorable à la thèse empiriste, qui veut que nos idées résultent de la somme de nos impressions sensibles (une thèse qui sera reprise par Aristote, l’élève de Platon). Et la comparaison de la réalité avec un texte dont il conviendrait de distinguer les éléments, dans une approche analytique, préfigure davantage les thèses de l’atomisme – qui saura décomposer la réalité matérielle en particules élémentaires et insécables – qu’elle ne défend l’hypothèse des Idées.
Enfin, si le Théétète revient à la forme aporétique avec laquelle Platon avait inauguré son parcours, n’est-ce pas parce que ce dialogue, qui sera complété par LeSophiste et LePolitique, est la première étape d’un cheminement qui semble être de l’ordre de l’autoréfutation ? Platon, qui avait jusqu’alors considéré que seule l’hypothèse des Idées autorisait l’édification d’une philosophie authentique, choisissant Parménide contre Héraclite, n'abandonne-t-il pas cette conviction ? Ne se voit-il pas contraint de reconnaître qu’une autre forme de philosophie a droit de cité ? Ainsi que le résume le philosophe Michel Narcy dans son introduction au Théétète : « Protagoras ou Parménide, l’homme ou l’être, voilà la véritable alternative du Théétète, et peut-être du platonisme ».
Le second membre de cette alternative est le relativisme défendu par Protagoras, une doctrine qui sommeillera près de deux millénaires avant qu’elle ne soit « réveillée » par Montaigne et revisitée par Nietzsche.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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