AUBIGNÉ THÉODORE AGRIPPA D' (1552-1630)
L'œuvre poétique
« Le Printemps »
Pour célébrer Diane Salviati, la nièce de la Cassandre de Ronsard, dont il est un admirateur fervent, d'Aubigné reste soumis à la tradition pétrarquiste, à la manière de Du Bellay dans l'Olive (1549) et de Ronsard dans le premier livre des Amours. Il chante la beauté physique et morale de Diane, condamne ses rigueurs et plante en son honneur deux arbres dans le parc de Talcy. Il y a dans ce recueil une telle violence dans la plainte, une telle hantise du sang et de la mort, qu'il est difficile d'oublier, en lisant l'Hécatombe à Diane ou les Stances, le climat de guerre civile qui les baigne. Mieux, quand il invective et qu'il maudit, quand son esprit est transporté en extase, d'Aubigné écrit comme une préface des Tragiques, œuvre plus grave, où il ne veut « chanter que de Dieu ».
« Les Tragiques »
Commencés en 1577, achevés sous leur forme première en 1589, ils paraissent en 1616, au lendemain de la paix de Loudun, dans un siècle de goût et d'autorité qui a oublié les temps héroïques de la geste protestant. Ce poème de dix mille vers n'entre dans aucun genre défini : il contient de l'histoire, de l' épopée, de la satire, du lyrisme chrétien. Le poète retrouve l'indignation de Juvénal contre les fauteurs de troubles, et l'assurance du prophète biblique dans le triomphe final de l'Église réformée. C'est sans doute l'élément dramatique (mis en évidence par le titre) qui donne unité et force à l'ensemble des sept chants. Misères évoque la France déchirée et les affreux spectacles de la guerre ; Princes invective Catherine de Médicis, Charles IX et Henri III ; Chambre dorée condamne les juges sanguinaires, et décrit sous forme allégoriques les vices du Palais de justice de Paris. Plus narratifs, Feux et Fers relatent l'un l'époque des bûchers, en exaltant la constance des martyrs, l'autre les principales scènes des guerres de religion, éclairées par l'aube sanglante de la Saint-Barthélemy, « la tragédie qui efface le reste ». Vengeances et Jugement forment le dénouement du drame : le premier énumère les châtiments exercés par Dieu contre les persécuteurs de l'Église depuis Caïn ; le second nous transporte au moment du Jugement dernier, et nous fait assister à la vision apocalyptique de la résurrection des corps, à l'inéluctable séparation des élus et des réprouvés. On regrette que cette belle ordonnance soit ternie par la rhétorique et par les surcharges, et qu'un poète d'une imagination visionnaire et d'une telle force satirique ne sache pas mieux discipliner son inspiration tumultueuse.
Il n'y a pas grand-chose à glaner dans le monotone poème didactique en quinze chants, La Création, inspirée par La Semaine de Du Bartas. Tout au plus peut-on admirer quelques strophes mélancoliques et résignées de son dernier recueil, L'Hiver ; d'Aubigné est donc avant tout le poète des Tragiques.
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Écrit par
- Jacques BAILBE : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
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