AUBIGNÉ THÉODORE AGRIPPA D' (1552-1630)
L'œuvre en prose
Le pamphlétaire
La « passion partisane » qui caractérise certains chants des Tragiques apparaît aussi dans l'œuvre en prose. Le Caducée, ou l'Ange de la paix est une attaque contre les « prudents », ses coreligionnaires trop accommodants, sous la régence de Marie de Médicis, avec le pouvoir royal. Il met en valeur la politique noble et intransigeante des « fermes ». Le traité des Devoirs des rois et des sujets date de l'époque de la guerre de Louis XIII contre les protestants, et oppose le bon roi au tyran. La Confession catholique du sieur de Sancy, qui ne fut publiée qu'en 1660, est suscitée par une rancune personnelle d'Agrippa d'Aubigné contre Du Perron. L'ouvrage parodie les abjurations des protestants qui se sont convertis au catholicisme pour obtenir le profit et l'honneur. C'est déjà, pour souligner la dangereuse influence de la politique sur la religion, le ton des Provinciales. Plus savoureuses sont les Aventures du baron de Faeneste, dont deux livres parurent en 1617, le troisième en 1619, et le quatrième en 1630 à Genève, où il fit scandale. Retrouvant la verve de Rabelais, « maître François, auteur excellent », d'Aubigné imagine les « dialogues » d'un gentilhomme poitevin, Enay (qui représente l'auteur lui-même), et d'un aventurier gascon ignorant et poltron, Faeneste, digne héritier du Miles gloriosus de Plaute : être et paraître, deux caractères qui s'opposent dans de véritables scènes de comédie. Par le souci de l'observation exacte, par les étonnantes caricatures des courtisans, par les tableaux de mœurs de la société de son temps et par les anecdotes rustiques du Poitou, d'Aubigné est un authentique précurseur du roman réaliste et du genre burlesque.
L'historien
Dans l'Histoire universelle, son œuvre maîtresse qu'il dédie à la postérité, d'Aubigné s'astreint à l'impartialité que l'on attend d'un ouvrage historique et d'une apologie lucide du protestantisme. Oubliant la fureur de ses jeunes années, il déclare maintenant : « Quand la vérité met le poignard à la gorge, il faut baiser sa main blanche, quoique tachée de notre sang. » Le livre mentionne les luttes soutenues de 1553 à 1602 par les protestants et les replace dans l'histoire européenne. Les deux premiers tomes étaient achevés en 1619. Traînant désormais le « pesant chariot de l'histoire », d'Aubigné s'efforce de ne dire que la vérité, fait un bel éloge d'Henri IV et se montre moins injuste que jadis pour Catherine de Médicis, Charles IX ou le cardinal de Lorraine. Dans ce livre de bonne foi, écrit avec une gravité sereine, les souvenirs personnels et les minutieux récits de batailles sont les pages les plus remarquables ; elles permettent de nuancer ou de préciser certains récits trop partiaux des Tragiques.
Son influence
On ne peut pas toujours, comme le fait Mathurin Régnier, « laisser aller la plume où la verve l'emporte ». Agrippa d'Aubigné fut méconnu par les classiques, parce qu'il s'était trop affranchi des scrupules du goût. Sainte-Beuve le réhabilite et voit dans son œuvre « l'image abrégée » de la Renaissance. Sa vie de droiture et de générosité, sa loyauté nous charment, même s'il s'éloigne de nous par son fanatisme. « Homme racine et souche de poètes, plutôt que grand poète » affirme Barbey d'Aurevilly. Son œuvre poétique est dominée par les Tragiques, dont l'autorité et le prestige sauront retenir le Victor Hugo des Châtiments. Il fait penser à Corneille par son goût des vers sentencieux ; il est tout proche de Claudel par son assurance à découvrir les desseins de la Providence. Son œuvre en prose et sa correspondance attestent la variété de ses dons, mais aussi sa fidélité constante à la cause[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques BAILBE : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Autres références
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
- Écrit par Frank LESTRINGANT
- 6 760 mots
- 3 médias
Le plus révélateur des poètes baroques estAgrippa d’Aubigné (1552-1630). Le Printemps et L’Hiver sont les deux saisons contrastées d’une œuvre. Le Printemps contient l’« Hécatombe à Diane », déferlante de cent sonnets adressés à Diane Salviati, pour laquelle le jeune d’Aubigné soupire,... -
LES TRAGIQUES, Théodore Agrippa d'Aubigné - Fiche de lecture
- Écrit par Yvonne BELLENGER
- 826 mots
Les Tragiques parurent en 1616, longtemps après les événements qui les avaient inspirés. L'œuvre était signée d'un simple sigle : L.B.D.D. (« Le Bouc Du Désert »), traduisant bien l'éloignement que ressentait l'auteur, Agrippa d'Aubigné (1552-1630), calviniste ardent, pour le monde où il vivait. Ce...