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DREISER THEODORE (1871-1945)

L'univers de Dreiser

Dans cette large fresque américaine, Dreiser est à la fois juge et partie. Il peint l'envers d'un décor doré auquel il n'est pas lui-même insensible. Sa fidélité à son enfance misérable, à son milieu d'origine, l'empêche de céder à l'obsession, voire au « devoir » de réussite qui reste un des fondements de la société où il vit. Sa connaissance personnelle des motivations psychologiques et sociales est constamment présente dans ses romans. Rarement l'écrivain et son œuvre ont été plus inséparables.

La transposition du réel

L'inspiration de Dreiser trouve le plus souvent sa source dans l'observation directe et familière. Il utilise quantité d'épisodes intimes de sa propre vie ou de celle de sa famille. S'il s'agit de personnages plus lointains, de faits divers notamment, Dreiser se documente, découvre et analyse les détails significatifs, et parvient à recréer, par des touches réalistes, des personnalités vivantes situées dans un milieu défini. Grâce à la dramatisation d'un conflit ouvert ou latent entre l'individu et une société donnée, il réussit à donner à ses héros une valeur exemplaire. L'aspect didactique de son œuvre contribue parfois à en alourdir le style. Souvent négligent parce qu'il écrit avec trop de facilité, Dreiser se sait prolixe et taille abondamment dans ses textes avec l'aide de son entourage... En l'appelant « le phénomène », « l'Hindenburg du roman », « le dinosaure », Mencken fait en même temps allusion à sa pesanteur et à son génie. Il ne rend pas justice à la nuance poétique, à la puissance d'émotion, au souffle épique même qui passent à travers les lignes d'une écriture d'où toute sophistication est exclue.

À la recherche d'une philosophie

« La vie est absurde », écrit Dreiser. Il cherche pourtant, non seulement à la transformer, mais à en fournir une explication. Dans les arcanes de la philosophie, il erre sans guide, séduit un moment par Nietzsche, s'intéressant successivement au mécanisme, à Freud, à la technologie, au marxisme. Peu formé aux disciplines abstraites, Dreiser se laisse finalement conduire par un instinct profond qui le porte vers la beauté. Ce qui est naturel est vrai, donc beau, dit-il en substance. Et si l'on n'est pas rendu aveugle par une société qui dénature les êtres et les choses, on découvre partout la beauté – dans une couleur, une silhouette féminine, dans l'activité d'un port ou d'une usine, dans la passion d'un regard, dans un paysage, dans un acte généreux. Excluant a priori toute métaphysique, Dreiser refuse la lutte du Bien et du Mal, récuse ensemble Dieu et Satan, et nie l'existence du péché, mythe puritain par excellence. Fascinant et déconcertant, il échappe à toute définition littéraire ou psychologique. Qu'il fasse de la beauté une sorte de mystique n'est pas le moindre de ses paradoxes.

Son obstination, son courage dans la quête d'une vérité constituent la trame solide et permanente de ses options personnelles comme de leur transposition romanesque. Autour de ce noyau central, cependant, se croisent et s'entrecroisent toutes les contradictions, toutes les faiblesses inhérentes à une nature sensible à l'extrême, où la violence s'oppose à la timidité, où la générosité succède à l'entêtement, le doute et l'angoisse à l'enthousiasme et à la confiance. Refusant toute concession, Dreiser n'accepte pas que ses romans lui servent d'alibi. Pamphlétaire à ses heures, concerné par les grandes aventures de son temps, il se veut non seulement témoin, mais acteur engagé. Devant la révolution d'Octobre, la guerre d'Espagne, le New Deal, les guerres mondiales, il réagit sur le plan du raisonnement logique, mais aussi sur celui de la sensibilité affective. Cette dualité déroutante provoque[...]

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, maître assistante à l'université de Paris-VII

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