GÉRICAULT THÉODORE (1791-1824)
L'œuvre publique
Géricault a très peu exposé de son vivant : seulement quatre tableaux aux salons qui se sont tenus de 1812 à 1819. Il est mort jeune, mais Delacroix, à trente ans, avait exposé beaucoup plus d'œuvres (douze au seul salon de 1827-1828). Après le succès de 1812, le Cuirassier blessé de 1814 est un échec. Géricault le présente en compagnie du tableau de 1812, réexposé sous le titre Un hussard chargeant, ce qui en altère rétrospectivement la signification et justifie ainsi l'interprétation de Michelet : « Ce génie, extraordinairement ferme et sévère, du premier coup peignit l'Empire et le jugea ; du moins l'Empire en 1812 : La Guerre, et nulle idée. C'est l'officier des guides, le terrible cavalier que tout le monde a vu, le brillant capitaine, séché, tanné, bronzé. » La juxtaposition des deux œuvres devait d'ailleurs faire ressortir le contraste entre le pinceau brillant du Hussard et l'exécution plus sommaire, âpre, et presque brutale du Cuirassier.
Par les dimensions, par la force du style, le soin de l'exécution, l'intensité de l'expression, Le Radeau de la Méduse s'inscrit dans la lignée des grandes compositions historiques de l'école davidienne. Violemment attaqué par plusieurs critiques mais très remarqué au salon, le tableau obtint tout de suite un succès considérable et entra au Louvre dès 1824 (acheté indirectement à la vente après décès). L'ambition de l'artiste y est immense ; sans renoncer à la réforme davidienne, il renoue avec la grande tradition de Rubens et de Michel-Ange. Il ne faut pas sous-estimer son audace, qui fut d'exécuter un grand tableau d'histoire sans héros. Audace encore plus grande si l'on songe que l'épisode choisi ne pouvait que déplaire au pouvoir. Le désastre de la Méduse, sensationnel en soi, avait causé un scandale considérable, les libéraux ayant accusé le gouvernement de n'avoir pas hésité à nommer, à cause de son loyalisme aux Bourbons, un commandant de vaisseau incompétent. L'intention de Géricault ne laisse pas de doute : avant de trouver son sujet définitif, il avait envisagé de traiter le meurtre de Fualdès, sordide fait-divers monté en scandale politique.
Dans son excellente monographie sur le tableau, Lorenz Eitner a tenté d'en minimiser la signification politique. Il est vrai qu'au cours de l'élaboration le costume moderne s'est en partie effacé en faveur du nu héroïque et que la scène a pris une valeur universelle, comme expression de la souffrance humaine. Pour soutenir l'idée que Géricault a renoncé au geste politique en cours d'exécution, Eitner invoque aussi la lettre où l'artiste déclare à un ami : « Cette année, nos gazetiers sont arrivés au comble du ridicule. Chaque tableau est jugé d'abord selon l'esprit dans lequel il est composé. Ainsi vous entendez un article libéral vanter dans tel ouvrage une touche nationale. Le même ouvrage jugé par l'ultra ne sera plus qu'une composition révolutionnaire où règne une teinte générale de sédition... » Géricault fait ici le procès de la critique d'art de l'époque qui s'exprime effectivement presque entièrement en termes politiques ou politisés. Libéralisme ou sédition ne sauraient, pour Géricault, caractériser la touche ou la teinte et ne sont pas des critères valables de la valeur artistique. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ait renoncé à exprimer ses préoccupations politiques et sociales. Il suffit de rappeler les sujets qu'il envisage de peindre après le Radeau : la traite des Noirs, ou l'ouverture des portes de l'Inquisition.
Joannides s'est demandé tout au contraire, en 1975, comment il se faisait que le tableau ait provoqué relativement peu de scandale et que Louis XVIII ait poliment complimenté[...]
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Écrit par
- Henri ZERNER : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard
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