ROUSSEAU THÉODORE (1812-1867)
Déclin et ultime changement
Le succès de ces années précéda et pour ainsi dire engendra une phase de déclin. Rousseau contracta alors un certain nombre de dettes et surestima ses capacités en acceptant trop de commandes. Depuis l'époque de la lettre ouverte de Thoré, il avait la réputation de ne pas achever ses tableaux, et, désormais, cette réputation ne faisait que se confirmer et s'aggraver. En outre, son style tendait à évoluer, ce qui déroutait le public, auquel il avait fallu du temps pour prendre goût à sa première manière, et qui trouvait en outre de nombreuses imitations des tableaux de Rousseau. L'évolution de son art laissait donc de nouveau Rousseau isolé. Pendant les dix dernières années de sa vie, il fut confronté à de graves problèmes. Cette fois, cependant, les difficultés ne venaient pas d'une exclusion officielle (Rousseau exposait toujours au Salon), mais plutôt de la désapprobation des critiques, de l'érosion du marché et de certains troubles physiques et psychiques endurés par Elisa Gros. De 1831 à 1849 environ, Rousseau s'était maintenu pour une bonne part grâce au soutien de la critique. À présent qu'il était un personnage bien en place, au talent largement reconnu, même ses amis critiques ne sentaient plus la nécessité de le protéger, d'autant plus qu'ils ne comprenaient pas sa production récente. Les marchands continuaient à le soutenir, surtout Durand-Ruel et Brame, mais, comme le prix de ses tableaux chutait, l'artiste ne parvenait pas à couvrir ses dettes. Les deux ventes aux enchères qu'il organisa en 1861 et 1863 se révélèrent décevantes.
À la fin des années 1850 et au début de la décennie suivante, la technique de Rousseau se caractérisait par une attention extrême au rendu des détails et par un minutieux travail de finition au pinceau. Bien que nombreux fussent ceux qui jugeaient cette manière par trop fouillée, voire monotone, un changement radical de style fut encore moins apprécié. Durant les dernières années de sa vie, les paysages de Rousseau se firent plus romantiques. À bien des égards, ils préfiguraient les découvertes impressionnistes. Rousseau peignait alors surtout en forêt de Fontainebleau, encore qu'il se rendît plusieurs fois en Franche-Comté. Sa facture devint plus libre et plus franche, ses couleurs plus fortes et plus contrastées. Ses sujets aussi se firent plus dramatiques : couchers de soleil, orages, sous-bois et arbres aux formes noueuses, baignant dans une lumière et une atmosphère où se condensait souvent toute la charge émotionnelle du tableau. L'artiste retravailla alors, dans ce nouveau style, nombre des anciennes peintures qu'il avait conservées dans son atelier : Le Vieux Dormoir du Bas-Bréau, commencé en 1836, achevé en 1867 (musée du Louvre, Paris), La Forêt en hiver au coucher de soleil, tableau commencé en 1846, achevé ( ?) en 1867 (Metropolitan Museum, New York). Il travailla également, dans un style différent, quatre toiles commandées par Frédéric Hartmann, au grand désespoir de ce dernier : les trois tableaux entrepris dans les Landes et Le Village de Becquigny, commencé en 1857 (Frick Collection, New York). Le pas le plus radical qu'effectua Rousseau, pas qui fut presque universellement désapprouvé et sur lequel il revint finalement, se situe en 1863. Cette année-là, il essaya en effet d'appliquer les couleurs vives et les motifs plats des estampes japonaises à la peinture de paysage. L'un des premiers artistes français à avoir collectionné ces gravures, Rousseau fut le premier à les imiter. Le Soleil couchant sur la lande d'Arbonne (vers 1863 ; Metropolitan Museum, New York) manifeste clairement cette influence. Le Village de Becquigny de Hartmann est passé lui aussi par une phase japonaise dont la plupart des traces furent par la suite effacées.
Ironie du destin, la chance[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jeremy STRICK
:
assistant curator , National Gallery of Art, Washington
Classification
Médias
Autres références
-
BARBIZON ÉCOLE DE
- Écrit par Jacques de CASO
- 3 471 mots
- 7 médias
...Si l'on voulait définir l'art des peintres de Barbizon en fonction de leur dévotion à la nature, celle où présence et action de l'homme sont exclues, Théodore Rousseau (1812-1867) s'imposerait comme le représentant le plus complet du groupe. Beaucoup plus attaché que ses camarades à Fontainebleau et...