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THÉOLOGIE DE LA LIBÉRATION

Naissance de la théologie de la libération

C'est dans ce contexte qu'est née la théologie de la libération. Dès la fin des années 1960, le thème de la libération commence à occuper les théologiens latino-américains les plus avancés, insatisfaits de la « théologie du développement », prédominante en Amérique latine. C'est le cas notamment d'Hugo Assmann, un théologien brésilien formé à Francfort, qui joue un rôle pionnier en élaborant en 1970 les premiers éléments d'une critique chrétienne et « libérationniste » de l'idéologie du développement.

Mais c'est en 1971, avec le livre de Gustavo Gutiérrez, un prêtre péruvien, ancien élève des universités catholiques de Louvain et de Lyon, que la théologie de la libération est vraiment née. Dans cet ouvrage intitulé Théologie de la libération. Perspectives, Gutiérrez propose un certain nombre d'idées contestataires, destinées à bouleverser profondément la doctrine de l'Église. Tout d'abord, il insiste sur la nécessité de rompre avec le dualisme hérité de la pensée grecque : il n'existe pas deux réalités, une « temporelle » et l'autre « spirituelle », ou deux histoires, une « sacrée » et l'autre « profane ». Il n'y a qu'une seule histoire, et c'est dans cette histoire humaine et temporelle que doit se réaliser la rédemption, le Royaume de Dieu. Il ne s'agit pas d'attendre le salut d'en haut : l'Exode biblique nous montre « la construction de l'homme par lui-même dans la lutte politique historique ». Il devient ainsi le modèle d'un salut qui n'est plus individuel et privé mais communautaire et « public », dont l'enjeu n'est pas l'âme de l'individu en tant que telle mais la rédemption et la libération de tout un peuple asservi. Le pauvre, dans cette perspective, n'est plus un objet de pitié ou de charité mais, comme les esclaves hébreux, l'acteur de sa propre libération. Quant à l'Église, elle doit cesser d'être une pièce du système de domination : suivant la grande tradition des prophètes bibliques et l'exemple du Christ, elle doit s'opposer aux puissants et dénoncer l'injustice sociale.

La théologie de la libération n'a influencé qu'une minorité des Églises latino-américaines : dans la plupart des pays, la tendance dominante est restée conservatrice ou modérée. Mais son impact est loin d'être négligeable, en particulier au Brésil où la Conférence nationale des évêques du Brésil (C.N.B.B.), malgré la pression insistante du Vatican, a toujours refusé de la condamner. Parmi les évêques ou cardinaux les plus connus de cette mouvance, on peut citer D. Hélder Câmara (Brésil), D. Paulo Arns (Brésil), D. Pedro Casaldáliga (Brésil), Mgr Méndez Arceo (Mexique), Mgr Samuel Ruiz (Mexique).

L'offensive conservatrice du Vatican, qui adopte la forme de nominations d'évêques connus pour leur hostilité à la théologie de la libération, et la montée spectaculaire des églises ou « sectes » pentecôtistes ont sans doute affaibli le christianisme de la libération. Il n'empêche que beaucoup de cadres et d'animateurs des principaux mouvements protestataires récents – que ce soit le néo-zapatisme du Chiapas, au Mexique, les mobilisations autour de la Conaie (Confédération des nationalités indigènes en Équateur), ou le Mouvement des paysans sans terre (M.S.T.) au Brésil – ont été formés par les idées de la théologie de la libération.

— Michaël LÖWY

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