THÉOLOGIE
Analyse du langage théologique
Questions épistémologiques
Le langage théologique se présente comme l'ensemble des signes organisables en un ensemble de propositions descriptives qui ne peuvent être comprises qu'en fonction d'un terme clef : « Dieu ». Ce terme spécifie à lui seul un ensemble propositionnel plus vaste : le langage religieux, dont il détermine le sens soit en étant un élément explicite d'au moins une proposition de cet ensemble, soit formellement à titre de modificateur logique de l'énoncé, soit les deux à la fois. La distinction entre langage religieux et langage théologique est due à la religion occidentale dominante, le christianisme : par elle on vise, depuis Abélard, à isoler les énoncés scientifiques décrivant Dieu et ses relations avec les hommes et le monde, et organisés en un corps de propositions systématiquement ordonnées, des énoncés religieux dont la détermination et la précision sont suffisantes pour exprimer une prière, effectuer un acte liturgique ou prescrire une forme de vie, mais qui n'ont pas forcément une intention scientifique ou critique.
La question : le discours théologique est-il scientifique ? ne se dissocie plus d'une autre, plus radicale : le langage religieux a-t-il un sens ? Ce n'est pas seulement la possibilité de connaître Dieu qui en est en question, mais la possibilité même d'en parler sans se limiter à transposer ses émotions dans un langage objectivant. En rejetant le langage religieux comme non-sens, les positivistes du Cercle de Vienne répétaient l'attitude traditionnelle adoptée, pour d'autres raisons, par les mystiques en climat théocentrique : alors que ces derniers voyaient dans le langage religieux un instrument impuissant à représenter celui qui est au-delà de tout nom, celui qui ne peut être connu que comme inconnaissable, les positivistes logiques ont dénoncé dans l'« objet » visé par le langage religieux un pseudo-objet, un objet conçu de telle façon que le discours qui le décrit soit invérifiable. Dans un cas, Dieu échappe aux prises de prédicats qui ne conviennent qu'à des créatures, à des êtres dérivés : dans l'autre, la façon même dont on se réfère à lui en faisant de lui un être nécessaire, hors de l'espace et du temps, et cause du monde, fait de Dieu un référent inobservable, incapable d'être le sujet de quelque énoncé que ce soit. La question et la réponse positivistes concernent la totalité du langage religieux dans la mesure où le contenu même de tout énoncé, descriptif ou prescriptif, incluant « Dieu » empêcherait de le reconnaître syntaxiquement bien formé, formellement valide, apte à transmettre un contenu quelconque et à se référer univoquement à une réalité. L'accusation de non-sens porte a fortiori aussi bien sur une théologie dite naturelle dont tous les énoncés doivent être démontrables que sur une théologie de la révélation, discours « subalterné » par exemple à la foi au Dieu chrétien, fondé sur la Parole de Dieu et destiné à en montrer la cohérence et la complétude. Après avoir sondé les possibilités de signifier du langage religieux à partir des étalons de signification les plus courants, on pourra déceler en quelle mesure les propositions théologiques parviennent à « correspondre » à leur objet.
La possibilité du langage religieux
Au niveau d'abstraction où se pose la question du sens des propositions religieuses, le langage religieux apparaît comme un système de significations ordonné à l'existence d'une réalité singulière ou de plusieurs : ses difficultés lui viennent de ce que ses concepts opératoires déterminent cette existence a priori, nécessairement en dehors de toute expérience soumise aux conditions spatio-temporelles. Dieu se différencie et s'individue comme objet transcendant, inassimilable aux éléments subjectifs[...]
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Écrit par
- Henry DUMÉRY : professeur de philosophie à l'université de Paris-X-Nanterre
- Claude GEFFRÉ : professeur à l'Institut catholique de Paris
- Jacques POULAIN : professeur à l'université de Paris-VIII
Classification
Média
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