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STEINLEN THÉOPHILE ALEXANDRE (1859-1923)

Il n'est pas certain que Steinlen ait subi, comme le suppose Anatole France, l'influence d'Émile Zola ou du communard Rossel avant d'arriver en France. Il est toutefois évident que l'image qu'il se forme de la France, et particulièrement de Paris, alors qu'il est encore étudiant en lettres à Lausanne, est étroitement liée aux événements dramatiques de 1871.

Avant de s'installer à Paris, il fait un détour par Mulhouse où l'un de ses oncles le place dans l'atelier d'un des meilleurs lithographes de l'époque. Il se fixe définitivement à Montmartre en 1881. Willette l'introduit dans le milieu du cabaret le Chat-Noir qu'anime Rodolphe Salis. Il y rencontre Toulouse-Lautrec, Forain, Léandre, Debussy, Éric Satie, Verlaine, Alphonse Allais et Aristide Bruant. Il participe aux représentations du théâtre d'ombres du célèbre cabaret avec des histoires d'animaux et, le plus souvent, des séquences mettant en scène des chats, pour lesquels il marque une affection particulière. Les félins apparaîtront tout au long de son activité comme des « parenthèses » au sein d'une œuvre tourmentée. Il n'y a, dans ce tourment, l'expression d'aucun problème personnel mais une compassion douloureuse pour la vie des exploités et des êtres marginaux. Il suffit de parcourir le sommaire de son plus célèbre recueil de dessins, Dans la vie (1901), pour prendre connaissance des thèmes qu'il ne cessera de développer jusqu'à sa mort : les idylles, bals et bastringues, les ouvriers, gosses et gosselines, les miséreux, les petites ouvrières, filles et marlous. Ces scènes de la vie populaire ont été, pour la plupart, publiées dans le Gil Blas illustré et Le Chambard socialiste.

Il lui arrive de réaliser des affiches. Dans les plus réussies d'entre elles (« Le lait pur de la Vingeanne » et le « Fer Bravais ») s'affirme, pertinente ou non, la présence des chats.

En 1901, Steinlen travaille pour L'Assiette au beurre, le journal satirique le plus virulent qui ait jamais paru et qui prend volontiers pour cible les institutions de la IIIe République. Comme tous les collaborateurs de ce journal — Jossot, Hermann-Paul, Grandjouan, Poulbot, Cappiello, Roubille, Ricardo Florès... —, il fait le procès du capitalisme, de l'armée, de la religion, du colonialisme... Les grandes allégories politiques qui établirent la réputation d'un Daumier n'ont plus de sens pour la plupart des caricaturistes du début du xxe siècle. Ce qui prédomine alors, au-delà des querelles autour de l'idée monarchique ou républicaine, c'est le scandale que constituent l'étalage de la richesse et l'évidence de la misère. Ces deux laideurs complémentaires engendrent des actions comme celles de la bande à Bonnot qui relèvent moins de la réflexion politique que du désespoir. C'est dans cette perspective qu'il faut regarder l'œuvre de Steinlen. C'est d'ailleurs moins la vénalité des puissants qui obsède l'artiste que la vulnérabilité des opprimés, l'obligation dans laquelle se trouvent ces derniers de monnayer leur corps. Les hommes qu'il représente sont usés par le travail ; les femmes, quand elles ne ploient pas sous le fardeau de nombreux enfants, sont l'objet des convoitises de vieillards répugnants ; les couples partagent la même misère ; les militaires sont des paysans déracinés de leur milieu d'origine. Dans cette chronique implacable, l'individu se définit par ce qui l'uniformise et le lie à une catégorie : ouvrier, militaire, chemineau, prostituée. Il participe à un jeu sordide où l'offre et la demande sont les seules constantes. Steinlen nous montre le rapport direct de l'excès au manque.

Dans cet univers où la malédiction se confond avec l'appartenance à une condition[...]

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