DELCASSÉ THÉOPHILE (1852-1923)

Partisan acharné d'alliances privilégiées pour s'opposer à la puissance allemande, Théophile Delcassé peut être considéré comme le fondateur de la stratégie diplomatique de la III^e République. Par sa carrière, il symbolise l'homme politique français du début du siècle. Issu de la petite bourgeoisie provinciale du Sud-Ouest, patrie du radical-socialisme, il est né à Pamiers dans l'Ariège et il a fait des études de lettres à Toulouse avant de gagner Paris pour devenir journaliste. Il a collaboré au journal de Gambetta, La République française, et c'est par le truchement de cette profession et grâce à l'appui et aux conseils du célèbre homme d'État républicain qu'il a pu s'introduire au sein de la classe politique. Après un premier échec aux élections de 1885, parce qu'il avait soutenu la politique coloniale, alors fort impopulaire, de Jules Ferry, il est élu député de l'Ariège en 1889. Dès lors, il gravit les échelons de la hiérarchie ministérielle. Il devient sous-secrétaire d'État aux Colonies dans le cabinet Ribot en 1893, puis ministre des Colonies sous le ministère Dupuy en 1894 et enfin, de 1898 à 1905, il demeure sept ans au ministère des Affaires étrangères, ce qui est un record de longévité ministérielle sous la III^e République. Les intentions de Delcassé sont claires : il souhaite maintenir et développer l'alliance franco-russe déjà bien engagée depuis 1893, et surtout il entend créer les conditions d'un rapprochement entre l'Angleterre et la France afin d'encercler diplomatiquement l'Allemagne. En raison d'une méfiance séculaire entre les deux pays et d'antagonismes coloniaux, il se heurte à de nombreuses et parfois graves difficultés qui non seulement font obstacle à une éventuelle réconciliation franco-anglaise mais menacent aussi la paix. L'incident de Fachoda (la mission française du capitaine Marchand entend planter le drapeau français sur les rives du Nil, s'opposant ainsi aux ambitions de Kitchener) en 1898 provoque une première crise. De même la guerre des Boers que les Anglais font au Transvaal de 1899 à 1902 est-elle très impopulaire dans l'opinion publique française, vigoureusement anglophobe. Lors de la guerre russo-japonaise en 1904, la France soutient le tsar et l'Angleterre l'empereur Meiji, ce qui provoque des frictions. Mais la souplesse, la patience, la modération ainsi que la ténacité de Delcassé, qui est secondé à Londres par l'ambassadeur Paul Cambon, réussissent à dénouer les crises, triomphent des méfiances entre la France et l'Angleterre et permettent la naissance de l'Entente cordiale conclue en 1904 (le souverain britannique Edouard VII, venu à Paris en 1903, fut d'abord sifflé, puis réussit à se faire acclamer). Mais l'Allemagne s'inquiète de la politique étrangère de la France qui lui apparaît comme un encerclement non seulement diplomatique, mais aussi militaire. Elle se fait menaçante et de plus en plus nombreux sont en France les responsables politiques qui accusent Delcassé d'imprudence et craignent le déclenchement d'une guerre avec l'Allemagne. En juin 1905, Delcassé est contraint de donner sa démission, mais il aura eu auparavant le temps de clarifier la situation de la France à l'égard de ses voisins, en signant des accords avec l'Italie, en 1900, à propos de la Tunisie et de la Tripolitaine, et avec l'Espagne, en 1904, sur la question du Maroc. En 1911, Delcassé devient ministre de la Marine et s'entend avec la Grande-Bretagne pour que la flotte anglaise domine en mer du Nord, tandis que la flotte française aura la prééminence en Méditerranée. En 1913, nommé ambassadeur à Saint-Pétersbourg, Delcassé raffermit l'alliance franco-russe. Peu avant la Première Guerre mondiale, il occupe le poste de ministre[...]