THÉORIE CELLULAIRE
Modification et précision de la théorie
Les réactions aux travaux de Schleiden et Schwann furent variées, avec d’importantes spécificités nationales. Par exemple, en France, le poids de l’héritage de Bichat contribua à entretenir une forte résistance à la théorie cellulaire jusqu’à la fin du xixe siècle. Charles Robin (1821-1885), notamment, fut l’un de ses plus farouches adversaires. Ailleurs en Europe, la théorie fut globalement acceptée assez vite, mais au prix de nombreuses modifications. L’histoire de ces débats est complexe, mais on peut distinguer plusieurs tendances qui rapprochèrent peu à peu la théorie de sa version actuelle : la confirmation de son universalité, la notion d’organismes unicellulaires, la mise en évidence du mode de formation des cellules par division – qui supposa donc l’abandon du modèle de la cristallisation de Schleiden – et la description de plus en plus fine des constituants intracellulaires.
Deux savants allemands jouèrent un rôle capital dans cette évolution. Le premier est Robert Remak (1815-1865), qui fit le lien entre la théorie cellulaire et les phénomènes de la reproduction et du développement. De nombreuses données étaient déjà disponibles : par exemple, la fécondation et la segmentation de l’œuf de grenouille avaient été observées en 1824 par Jean-Louis Prevost (1790-1850) et Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), celles de l’œuf des mammifères en 1827 par Karl Ernst von Baer (1792-1876). Mais c’est seulement en 1852 que Remak montra que l’œuf de grenouille était une cellule, que sa segmentation était une division en deux cellules, puis quatre, etc. De là émergea chez lui l’idée que le développement embryonnaire correspondait à une succession de divisions cellulaires et que les cellules de l’organisme adulte provenaient toutes de la cellule œuf par ce mécanisme de division. Peu après, Rudolf Virchow (1821-1902) généralisa les conceptions de Remak et affirma que toute cellule vivante était issue d’une autre cellule, ce qu’il exprima par la formule latine omniscellula e cellula, « toute cellule [vient] d’une cellule ».
Ainsi, le modèle de Remak et Virchow correspondait à peu près à la théorie cellulaire telle qu’elle est désormais admise. Cependant, plusieurs précisions y furent apportées au cours des décennies suivantes. En particulier, tout un ensemble de travaux porta sur les mécanismes de la division et sur le comportement du noyau au cours de ce processus. Dans les années 1850, ces points étaient controversés. Certains auteurs, comme Karl Bogislaus Reichert (1811-1883), pensaient que le noyau disparaissait totalement pendant la division et qu’il s’en reformait un nouveau dans chacune des deux cellules filles. Remak estimait quant à lui qu’il se divisait comme la cellule elle-même. Ce n’est qu’après 1860 que les observations microscopiques de plus en plus fines (liées, entre autres, à l’introduction de nouvelles techniques de coloration) permirent de mettre en évidence les événements qui se produisent durant la mitose, en particulier la condensation des chromosomes et la formation du fuseau. Le rôle des chromosomes dans la transmission de l’hérédité, lui, ne fut établi qu’après 1900, quand fut observé leur comportement au cours de la formation des cellules germinales (cellules à l’origine des gamètes) et de la méiose. Cette théorie chromosomique de l’hérédité fut formulée en 1902-1903 par Walter Sutton (1877-1916) et Theodor Boveri (1862-1915). Elle permit de faire le lien entre la théorie cellulaire et la génétique naissante.
Une dernière frontière pour la théorie cellulaire fut le cas particulier du tissu nerveux, dont la nature cellulaire resta longtemps un sujet de débat. De nombreux savants de la fin du xixe siècle considéraient que, contrairement aux autres tissus, le cerveau et les nerfs n’étaient pas composés[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Stéphane SCHMITT : directeur de recherche au CNRS
Classification
Médias
Autres références
-
CELLULE, notion de
- Écrit par Didier LAVERGNE
- 1 315 mots
Le terme cellule (cell en anglais) apparaît en 1665, sous la plume du physicien anglais Robert Hooke, pour désigner les logettes que l'on voit au microscope dans un fragment végétal inerte, le liège. En 1824, le biologiste français Henri Dutrochet, qui s'intéresse aux forces agissant au sein des...
-
DUJARDIN FÉLIX (1801-1860)
- Écrit par Jacqueline BROSSOLLET
- 652 mots
Naturaliste français, né à Tours dans une famille d'horlogers, dont il hérite sans doute son habileté et sa remarquable dextérité manuelle. Il échoue au concours d'entrée à Polytechnique, étudie la peinture avec François Gérard et se passionne pour l'histoire naturelle...
-
DUTROCHET ET LA PHYSIOLOGIE CELLULAIRE
- Écrit par Didier LAVERGNE et Paul MAZLIAK
- 470 mots
- 1 média
Le premier microscopiste ayant utilisé le mot « cellule » est le savant anglais Robert Hooke (1635-1703), qui désigna par ce terme les cavités présentes dans une coupe de tissu liégeux mort, par analogie avec les cellulesdes monastères. Le terme de cellule est resté utilisé dans cette...
-
ORGANISME VIVANT
- Écrit par Jean GÉNERMONT
- 1 650 mots
Selon la théorie cellulaire, née au xixe siècle et actuellement incontestée, tout être vivant est formé d'au moins une cellule, volume délimité par une mince et souple membrane plasmique, au travers de laquelle les milieux intracellulaire et extracellulaire échangent matière et énergie. Les molécules... - Afficher les 8 références