THÉORIE DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE, Joseph Aloys Schumpeter Fiche de lecture
L'évolution économique : une « idée qui embrasse le domaine entier de la théorie et permet même d'en reculer les bornes », écrit Joseph Aloys Schumpeter (1883-1950) dans la Préface de Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung (Théorie de l'évolution économique). L'ambition est tenue. Publié par Schumpeter à l'âge de vingt-huit ans, ce deuxième livre contient bien en germe l'ensemble foisonnant de ses travaux à venir : Impérialisme et classes sociales en 1918, Business Cycles en 1939 ou Capitalisme, socialisme et démocratie en 1942. Parallèlement à ce volet théorique, qui cherche à renouveler les fondements mêmes de l'analyse de la monnaie, de la croissance et des cycles, un deuxième pan de son œuvre est consacré par Shumpeter à l'histoire des théories économiques : Esquisse d'une histoire de la science économique des origines au début du XXe siècle en 1914, puis, publiée après sa mort, la monumentale Histoire de l'analyse économique en 1954.
Circuit et évolution
Le cadre est posé d'emblée. Dès les premières pages de Théorie de l'évolution économique, Schumpeter distingue le circuit économique de l'évolution économique. Le circuit est un modèle stationnaire, qui décrit en termes walrasiens (équilibre général, raisonnement à la marge, cadre statique, analogie mécanique) une économie sans crédit ni profit. L'évolution naît d'une rupture endogène des routines du circuit, que Schumpeter nomme « innovation », et qu'il définit comme une « combinaison nouvelle » des facteurs d'offre : un nouveau produit, une nouvelle méthode de production, un nouveau débouché, de nouvelles matières premières ou la nouvelle organisation d'un secteur productif. L'innovation est mise en œuvre par un personnage central, l'entrepreneur, que Schumpeter décrit à travers une « trinité » de caractéristiques. Un « objet » : l'exécution de nouvelles combinaisons productives dans un environnement incertain. Un « moyen » : le recours au crédit bancaire, défini comme une création ex nihilo de monnaie. Une « fonction essentielle » : l'initiative de l'innovation, la fonction de chef – Führerschaft. Cet entrepreneur d'un type nouveau cesse ainsi d'être un agent d'équilibre, comme il l'était dans la théorie classique et marginaliste, pour devenir un agent de déséquilibre, de rupture – fût-elle créatrice d'un autre état d'équilibre. Ses motivations ne sont pas décrites en termes d'intérêt, mais de « rêve et [de] volonté de fonder un royaume », ou de « joie de créer une forme économique nouvelle ». Lorsque l'innovation connaît un succès, elle lui procure une « rente de monopole », qui le différencie du capitaliste : celui-ci perçoit un intérêt, celui-là un « profit pur », né de l'innovation, et qui n'existe pas dans la seule logique du circuit. Dans un deuxième temps, l'innovation se généralise par « grappes », déclenchant au sein du processus d'évolution des mouvements cycliques, de court et de long terme.
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Écrit par
- Annie L. COT : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directeur du D.E.A. d'épistémologie économique
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