THÉORIE DE LA CLASSE DE LOISIR, Thorstein Veblen Fiche de lecture
« Avez-vous lu Veblen ? » demandait Raymond Aron en 1970 dans la Préface de Théorie de la classe de loisir (traduction française de The Theory of the Leisure Class), en parlant d'un « livre étrange et célèbre », d'une œuvre « monumentale », qui « vieillit sans prendre de rides ». La question vaut toujours d'être posée : ce premier ouvrage, dont le sous-titre original est Une étude économique des institutions, annonce l'œuvre entière du fondateur de l'institutionnalisme américain, depuis la critique des théories économiques de son temps jusqu'aux thèses sur l'opposition entre capitalisme industriel et capitalisme financier, en passant par l'analyse institutionnelle des phases historiques de la production, la théorie du luxe, l'analyse de la publicité ou encore ce que la théorie du consommateur a depuis nommé « l'effet Veblen ». Il n'est donc guère étonnant que ce soit là le seul livre de Thorstein Veblen (1857-1929) qui ait connu un succès immédiat, contrairement à ses autres grands ouvrages, plus difficiles d'accès : Theory of Business Entreprise (1904), The Engineer and the Price System (1921), ou The Place of Science in Modern Civilization (1919).
La classe de loisir : une institution enracinée dans l'histoire
Théorie de la classe de loisir s'ouvre sur une vaste fresque historique qui permet de définir la « classe de loisir » comme une institution, c'est-à-dire comme un faisceau donné d'habitudes de pensée, inscrites dans le temps et dans l'espace, communes à un ensemble d'individus et qui contraignent les comportements de ces individus, jusqu'à façonner les notions mêmes de rationalité qui servent de référence à chaque époque de l'histoire. « Ce sont les conditions de la vie en société qui poussent les hommes à s'adapter. L'adaptation des façons de penser, c'est le développement même des institutions », écrit Veblen. Ces habitudes de pensée résultent du travail de l'histoire sur les instincts des hommes – de l'histoire ou plutôt des phases historiques : la phase « néolithique », la phase « barbare », la phase « artisanale » et la phase « des machines ». Apparue parallèlement à l'institution de la propriété privée, la « classe de loisir » s'enracine dans la différenciation du travail des hommes et du travail des femmes, puis se développe sous les traits du loisir et de la consommation ostentatoire. Mais tout en conservant des traits « archaïques », héritage de cette phase « barbare » de l'histoire qui l'a vue naître.
À travers cette nouvelle catégorie qu'est la classe de loisir, Veblen construit un cadre d'analyse qui lui permet de montrer en quoi l'évolution des exigences de la production industrielle suppose la mise en place de nouvelles représentations, l'élaboration de nouveaux critères de jugement : de nouvelles « institutions », qui concernent aussi bien les modes vestimentaires féminines que les formes de validation des théories scientifiques élaborées dans les universités.
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Écrit par
- Annie L. COT : professeur à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, directeur du D.E.A. d'épistémologie économique
Classification
Autres références
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INSTITUTIONNALISME, économie
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La théorie de l'institution de la consommation et du loisir développée par Veblen dansThéorie de la classe de loisir (1899) fournit une bonne illustration de ce processus d'évolution. Veblen met en avant le renforcement des institutions dites « cérémonielles » face aux mentalités « industrielles... -
VEBLEN THORSTEIN (1857-1929)
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Né aux États-Unis de parents norvégiens immigrés, Thorstein Bunde Veblen a enseigné, après avoir passé un doctorat de philosophie à Yale en 1884, dans plusieurs universités américaines (Chicago, Stanford, Missouri). Sa pensée a subi une triple influence : celle de l'utopie socialiste,...