- 1. De l'algèbre à la géométrie et de la géométrie au monde
- 2. Théorie des catastrophes, morphosophie, phénoménologie
- 3. Les solutions archétypales
- 4. Vers des modèles intrinsèquement transdisciplinaires
- 5. Les modèles de Zeeman
- 6. Vers une nouvelle caractéristique
- 7. Vers une philosophie comme science rigoureuse
- 8. Bibliographie
CATASTROPHES THÉORIE DES
Les solutions archétypales
Les points catastrophiques
Partons d'un problème géométrique résolu par Whitney : ce problème est à l'origine de la théorie des catastrophes, celui de la classification des applications différentiables du plan sur le plan. Pour s'en faire une image, on peut le remplacer par celui (différent mais du même ordre) de la classification des projections π d'un plan « plissé » Σ sur un plan de base Ω.
Les triplets (Σ, Ω, π) sont les éléments d'un « espace » F (de dimension infinie) dont il s'agit d'analyser la structure. La première grande idée est de travailler qualitativement (phénoménologiquement). Quelles sont à ce niveau les caractéristiques d'une projection (Σ, Ω, π) ? Au-dessus de la plupart des points ω de Ω la situation est localement la suivante :
Il est un « décalque » de Σ sur Ω (un difféomorphisme local). Ce cas ne fournit aucune information. L'information est donc fournie par l'ensemble des points (exceptionnels) de Ω où la situation n'est pas du type précédent.
Un « coup d'œil » jeté sur la figure montre que ces points – dits points catastrophiques – sont la projection des points de Σ – dits points critiques – où la direction de projection est tangente à Σ (on peut définir ces points intrinsèquement, indépendamment de tout plongement de Σ dans un espace ambiant).
Phénoménologiquement, (Σ, Ω, π) se réduit donc au lieu critique C de π dans Σ et à sa projection K = π(C) sur Ω (dit lieu ou ensemble catastrophique de π), c'est-à-dire à ce que l'on appelle le contour apparent de Σ sur Ω relativement à π (on remarquera d'ailleurs que la seule façon de dessiner π est de dessiner son contour apparent). La question se pose alors de classifier ces contours apparents. Mais cette tâche est encore trop difficile. Ici intervient une autre grande idée, qui est celle de la stabilité structurelle. Intuitivement, la projection (Σ, Ω, π) est structurellement stable si elle est invariante par petite déformation. Par exemple, la situation décrite par la figure est stable, alors que la projection d'un plan Σ vertical sur un plan horizontal Ω est hautement instable.
L'idée est que la stabilité structurelle impose une contrainte drastique à la complexité morphologique locale de la situation. Dans l'exemple précédent – qui est structurellement stable –, il n'existe que deux types de situation locale :
– celle de la catastrophe dite pli (figure : un point pli),
– celle de la catastrophe plus complexe, dite cusp ou fronce, point commun d'évanouissement de deux plis (figure : un point cusp).
Le théorème de Whitney
Il s'agit là d'une propriété générale. Le grand théorème de Whitney dit en effet que, si l'on considère une application différentiable du plan sur le plan qui soit structurellement stable, les deux seules situations locales non triviales qui peuvent intervenir sont celles du pli et du cusp. Globalement, le lieu critique C de π est une courbe régulière (sans singularités) de Σ dont l'image K est une ligne (de points plis) ne pouvant admettre comme singularités que des cusps ou des self-intersections transversales, correspondant à des singularités semi-locales (figure : situation globale avec self-intersections).
C'est ce théorème de Whitney que Thom s'est proposé de généraliser à tout espace de formes. Mathématiquement, les deux types de formes que l'on a analysés jusqu'ici dans cette perspective sont essentiellement les applications différentiables entre variétés différentiables (théorie de Thom-Mather) et les champs de vecteurs sur une variété (théorie de Smale-Takens). Dans cette généralisation, on rencontre à chaque pas des difficultés techniques très sérieuses, mais on peut y repérer quelques intuitions assez simples qui ont progressivement acquis un[...]
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Écrit par
- Jean PETITOT : ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur es lettres et sciences humaines, vice président de l'International Association for Semiotic Studies, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
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