CORDES THÉORIE DES
Les premières décennies du xxe siècle furent marquées par les grandes avancées conceptuelles établissant les formalismes relativistes et quantiques, couronnées par l'établissement de l'électrodynamique quantique qui décrit de façon remarquablement précise les interactions entre la lumière et la matière. Les années 1965-1975 virent progresser de manière considérable la compréhension des interactions nucléaires, fortes et faibles. Le développement des théories de jauge et les résultats expérimentaux obtenus auprès des accélérateurs de particules établirent un socle solide que les décennies suivantes allaient affermir par un inlassable approfondissement des méthodes de calcul et un extraordinaire élargissement des capacités expérimentales.
Grisés par le succès indéniable des concepts utilisés pour fonder ces théories, quelques physiciens, parmi lesquels on peut citer Howard Georgi et Sydney Glashow, en construisent, dès 1974, une très ambitieuse extension : les théories de grande unification, selon lesquelles les interactions électromagnétiques et nucléaires ne sont que des manifestations d'une unique force, issue d'un principe de symétrie plus exigeant que celui qui décrit chacune d'entre elles, principe qui aurait régné sur l'Univers dans ses tout premiers instants. Outre la stricte égalité des valeurs absolues des charges du proton et de l'électron, cette grande unification proposait deux tests expérimentaux : l'existence de monopôles magnétiques de grande masse et d'un processus de désintégration du proton. Cette seconde prédiction justifia un vaste programme expérimental dans le monde entier. Les physiciens enterrèrent, dans des mines d'or ou des tunnels, de grandes quantités de matière (eau très pure ou plaques de fer) sous la haute surveillance d'appareils de détection très sensibles. Le résultat fut extrêmement décevant pour les divers « scénarios » d'unification : le proton était bien plus stable que ces hypothèses ne l'envisageaient. Le monopôle magnétique, lui aussi, resta introuvable. Mais cet échec ne ralentit guère l'audace des théoriciens qui d'ailleurs n'attendirent pas le résultat de ces investigations expérimentales pour aller au-delà de cette première extension du « modèle standard ». Cette hâte se comprend en partie quand on prend conscience du temps nécessaire pour planifier, construire et réaliser ces expériences gigantesques, mais nie d'une certaine façon la fécondité du dialogue entre théorie et expérience. La seconde extension proposée met en avant le concept de « supersymétrie ». Elle postule une relation profonde entre la famille des fermions (quarks et leptons) qui constituent la matière, et celle des bosons qui véhiculent les interactions.
Malgré leur caractère spéculatif déjà très prononcé, ces extensions restent dans le cadre des propositions théoriques destinées à être confrontées le plus rapidement possible à un programme expérimental. Cela n'est pas vraiment le cas d'une excroissance de la théorie supersymétrique qui occupe actuellement, sous plusieurs aspects, le « devant de la scène » : la théorie des supercordes, selon laquelle l'espace-temps est élargi par l'adjonction de dimensions supplémentaires et dont les objets fondamentaux ne sont pas ponctuels. Proposée par une poignée de théoriciens à partir de 1974 pour relever le pari de décrire toutes les interactions, y compris la gravitation, de façon unifiée et quantique, cette approche tourne délibérément le dos à un dialogue avec la méthode expérimentale. La raison en est que l'échelle d'énergie caractéristique des quantités que cette théorie considère est beaucoup trop élevée pour s'apprécier au laboratoire. Peu importe, répondent en substance ces théoriciens, la vraie description du monde[...]
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Écrit par
- Alexis DURAND : directeur de recherche au C.N.R.S.
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