MARTINGALES THÉORIE DES
Le mot « martingale » évoque l'idée d'une stratégie pour gagner aux jeux de hasard. Cette notion tient une place essentielle dans toute la théorie des probabilités et s'est révélée être un langage très riche dans de nombreux domaines des mathématiques ; mais ce rôle n'est apparu que tout récemment.
Au xvie siècle, ce mot (qui proviendrait du provençal martegalo, du nom de la ville de Martigues) désignait une courroie qui, placée sous le ventre du cheval, relie la sangle à la muserolle pour empêcher l'animal de trop lever la tête. Pour Littré, la locution est tirée par métaphore de la bifurcation de la martingale des chevaux ; mais ne faudrait-il pas voir, dans cette étymologie, l'espoir que les martingales permettraient de brider le hasard ?... Il y a d'ailleurs d'autres étymologies.
C'est au début du xviiie siècle qu'apparaît, chez Abraham de Moivre (The Doctrine of Chance, 1718, dont une première version latine date de 1711), la notion de martingale comme stratégie permettant de gagner « à coup sûr » dans un jeu équitable (pile ou face, par exemple). Citons comme exemple la martingale la plus classique, dite de D'Alembert mais d'origine beaucoup plus ancienne, relative au jeu de pile ou face, dont la règle du jeu est la suivante : On parie x euros sur pile. Si la pièce tombe sur pile, on ramasse ses x et on gagne x autres euros ; si elle marque face, on perd sa mise de x euros. À chaque coup, on est libre de se retirer (ce qui revient à miser 0 euro) ou de continuer à jouer.
La stratégie dite de martingale est alors celle-ci :
– Au 1er coup, on mise 1 euro ; si on gagne, on se retire (on a donc gagné 1 F) ; si on perd (on a donc perdu 1 euro), on continue ;
– Au 2e coup, on mise le double : 2 euros ; si on gagne, on se retire (on a donc gagné 2 euros, moins 1 euro perdu au 1er coup, le gain global est encore 1 euro) ; si on perd (on a donc perdu en tout 1 euro + 2 euros = 3 euros), on continue ;
– Au 3e coup, on mise encore le double : 4 euros ; si on gagne, on se retire (on a donc gagné 4 euros − 1 euro − 2 euros = gain global 1 euro) ; si on perd (on a donc maintenant perdu 1 euro + 2 euros + 4 euros = 7 euros), on continue en doublant sa mise...
– Et ainsi de suite. Comme « ce serait bien le diable » si on ne finissait pas par gagner un coup ou l'autre, on voit que, avec cette méthode, on est « presque sûr » de gagner 1 euro, c'est-à-dire sa mise de départ.
À cela, il faut ajouter une remarque : pour pouvoir utiliser sans risque une telle stratégie, il faut être riche ; si on ne dispose que d'une fortune finie, la probabilité de gagner n'est plus égale à 1.
Plus généralement se pose le problème suivant : pour un jeu équitable du type précédent, déterminer une stratégie qui permette de gagner presque sûrement : en misant à chaque coup la somme qu'on veut (et en interrompant le jeu à un moment bien choisi) en fonction uniquement de ce qui s'est passé les coups précédents, peut-on être presque sûr de gagner ?
Nous verrons (c'est le « théorème d'arrêt »), que, si la fortune du joueur est bornée, la réponse est non. Ce thème « pessimiste » de la ruine des joueurs semble apparaître pour la première fois chez Ampère, qui précise que la ruine est certaine, quel que soit le système de jeu employé.
La formulation mathématique moderne remonte à P. Lévy (1935, 1937 : condition C de Paul Lévy) et à Jean Ville (1939), qui introduit en ce sens le terme de martingale. À cette époque, le lien entre le calcul des probabilités et la théorie de l'intégration venait certes d'être mis en évidence, mais les jeux de hasard constituaient encore un support essentiel des probabilités. C'est J. L. Doob qui a élaboré, après la Seconde Guerre mondiale, les[...]
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Écrit par
- Pierre CRÉPEL : docteur ès sciences, chargé de recherche au C.N.R.S.
- Jean MEMIN : docteur ès sciences, assistant à l'université de Rennes
- Albert RAUGI : docteur ès sciences, attaché de recherche au C.N.R.S.
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