Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

THÉORIE DES TRACES

Dans le cadre de la théorie standard étendue de la grammaire transformationnelle, la théorie des traces constitue une redéfinition des transformations de mouvement. Cette redéfinition permet également de faire apparaître des généralisations intéressantes à la fois en sémantique et en phonologie. Considérons la phrase suivante :(1) Jean semble les détester tous.

On considère en grammaire transformationnelle que Jean est le sujet « logique » de l'infinitive les détester tous, ce qui est représenté en disant que (1) est dérivée par mouvement à partir de la structure sous-jacente à (2) :

On fera une hypothèse analogue en ce qui concerne des phrases passives du type de (3) :(3) Pierre a été arrêtéque l'on dérive par mouvement de (4) :

Si on considère maintenant l'ensemble des transformations de mouvement, on constate une asymétrie surprenante : alors qu'il existe dans les langues un grand nombre de cas où un item est déplacé vers la gauche [comme en (2)→(1) ou (4)→(3)], il existe très peu de cas où une transformation de mouvement déplace un item vers la droite. Un des buts de la théorie des traces est de rendre compte de cette asymétrie. Supposons en effet que le déplacement de Jean et Pierre dans (1) et (3) laisse une trace invisible (notée t) à l'endroit d'où ces groupes nominaux ont été déplacés et que cette trace fonctionne comme une forme de pronom : on obtient alors pour (1) la représentation (5) :(5) Jean semble t les détester tous.

Supposons maintenant que la relation entre une trace t quelconque et la catégorie déplacée (dans nos exemples, un groupe nominal) soit analogue à la relation qui existe entre un pronom et son antécédent ; on peut alors mettre en relation d'asymétrie notée entre déplacements vers la droite et vers la gauche avec les possibilités de coréférence dans des phrases comme :(6) Pierre pense qu'il gagnera. (7) il pense que Pierre gagnera.

Dans (6) Pierre et il peuvent être interprétés comme renvoyant à la même personne, mais cette relation de coréférence est impossible en (7). En d'autres termes, la coréférence exhibe la même asymétrie gauche/droite que les déplacements, ce que la théorie des traces permet de représenter. On notera également que la théorie des traces permet de faire tomber sous le coup d'une même généralisation, par exemple la contrainte du sujet spécifié, des énoncés impossibles comme (8) :(8) Jean tous semble les détester.

Si nous supposons que dans (8) le déplacement de Jean a laissé une trace en position sujet, l'inacceptabilité de (8) suit comme une conséquence obligatoire de la condition du sujet spécifié, ce qui constitue une généralisation intéressante. D'autres généralisations peuvent apparaître, dans d'autres domaines. Ainsi en anglais, il est ordinairement possible de « réduire » la prononciation de certains mots grammaticaux comme les auxiliaires be et have dans des phrases comme (9) ou (10) :(9) I am ready to go. (10) I have three shirtsqui sont prononçables avec les auxiliaires réduits à m et v respectivement. On notera cependant qu'une telle réduction est impossible dans des phrases comme (11) ou comme (12) :(11) Ready I am to go. (12) How many shirts do you have now ?am et have ne peuvent pas être prononcés de façon réduite. Si nous supposons la théorie des traces, nous pourrons attribuer cette impossibilité à la présence « invisible » de la trace du déplacement de ready en (11) et how many shirts en (12).

En résumé, la théorie des traces des règles de mouvement fait partie intégrante de la théorie standard étendue qu'elle contribue à définir. Elle permet des généralisations en syntaxe (asymétrie gauche/droite des règles de mouvement) ; elle étend le domaine d'application de contraintes générales comme celle du sujet spécifié, et[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur des Universités, université de Picardie-Jules-Verne, Amiens

Classification

Autres références

  • LINGUISTIQUE - Théories

    • Écrit par
    • 7 713 mots
    • 1 média
    La théorie chomskienne, devenue ensuite « théorie étendue », puis « théorie des traces », connaîtra au début des années 1980 une version nouvelle dite « théorie du gouvernement et du liage », de plus en plus technique et formelle. L'entreprise poursuit depuis lors un objectif extrêmement ambitieux,...
  • THÉORIE STANDARD ÉTENDUE

    • Écrit par
    • 1 108 mots

    Dans le cadre général de la grammaire générative, on peut caractériser de façon informelle la théorie standard étendue comme un effort visant à rendre aussi spécifiques et restrictifs que possible les outils descriptifs mis à la disposition du linguiste dans sa tâche d'analyse des différentes...