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TEXTE THÉORIE DU

Le texte et l'œuvre

Le texte ne doit pas être confondu avec l'œuvre. Une œuvre est un objet fini, computable, qui peut occuper un espace physique (prendre place par exemple sur les rayons d'une bibliothèque) ; le texte est un champ méthodologique ; on ne peut donc dénombrer (du moins régulièrement) des textes ; tout ce qu'on peut dire, c'est que, dans telle ou telle œuvre, il y a (ou il n'y a pas) du texte : « L'œuvre se tient dans la main, le texte dans le langage. » On peut dire d'une autre façon que, si l'œuvre peut être définie en termes hétérogènes au langage (allant du format du livre aux déterminations socio-historiques qui ont produit ce livre), le texte, lui, reste de part en part homogène au langage : il n'est que langage et ne peut exister qu'à travers un autre langage. Autrement dit, « le texte ne s'éprouve que dans un travail, une production » : par la signifiance.

La signifiance appelle l'idée d'un travail infini (du signifiant sur lui-même) : le texte ne peut donc plus coïncider exactement (ou de droit) avec les unités linguistiques ou rhétoriques reconnues jusqu'ici par les sciences du langage, et dont le découpage impliquait toujours l'idée d'une structure finie ; le texte ne contredit pas forcément ces unités, mais il les déborde, ou, plus exactement, il ne s'y ajuste pas obligatoirement ; puisque le texte est un concept massif (et non numératif), on peut trouver du texte d'un bout à l'autre de l'échelle discursive. On sait que cette échelle est traditionnellement divisée en deux régions distinctes et hétérogènes : toute manifestation de langage de dimension inférieure ou égale à la phrase appartient de droit à la linguistique ; tout ce qui est au-delà de la phrase appartient au « discours », objet d'une ancienne science normative, la rhétorique. Certes, la stylistique et la rhétorique elle-même peuvent traiter de phénomènes intérieurs à la phrase (choix des mots, assonances, figures) ; et, d'autre part, certains linguistes ont tenté de fonder une linguistique du discours (speech analysis) ; mais ces tentatives ne peuvent se comparer au travail de l'analyse textuelle, parce qu'elles sont ou bien dépassées (rhétorique) ou bien très limitées (stylistique), ou bien entachées d'un esprit métalinguistique, se plaçant à l'extérieur de l'énoncé et non dans l'énonciation.

La signifiance, qui est le texte au travail, ne reconnaît pas les domaines imposés par les sciences du langage (ces domaines peuvent être reconnus au niveau du phéno-texte, mais non à celui du géno-texte) ; la signifiance – lueur, fulguration imprévisible des infinis de langage – est indistinctement à tous les niveaux de l'œuvre : dans les sons, qui ne sont plus alors considérés comme des unités propres à déterminer le sens (phonèmes) mais comme des mouvements pulsionnels ; dans les monèmes, qui sont moins des unités sémantiques que des arbres d'associations et sont entraînés par la connotation, la polysémie latente, dans une métonymie généralisée ; dans les syntagmes, dont importe, plus que le sens légal, la frappe, la résonance intertextuelle ; dans le discours enfin, dont la « lisibilité » est ou débordée ou doublée par une pluralité de logiques autres que la simple logique prédicative. Ce bouleversement des « lieux » scientifiques du langage apparente beaucoup la signifiance (le texte dans sa spécificité textuelle) au travail du rêve, tel que Freud en a amorcé la description ; il faut cependant ici préciser que ce n'est pas a priori l'« étrangeté » d'une œuvre qui la rapproche forcément du rêve, mais plutôt le travail signifiant, qu'il soit « étrange » ou non : ce que le « travail du rêve » et le « travail du texte » ont en commun[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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