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TEXTE THÉORIE DU

La pratique textuelle

Traditionnellement, l'œuvre d'art peut relever, en gros, de deux sciences : historique et philologique. Ces sciences – ou plutôt ces « discours » – ont ceci en commun (contrainte qu'elles partagent d'ailleurs avec toutes les sciences positives) qu'elles constituent l'œuvre comme un objet clos placé à distance d'un observateur qui l'inspecte de l'extérieur. C'est essentiellement cette extériorité que l'analyse textuelle remet en cause, non point au nom des droits d'une « subjectivité » plus ou moins impressionniste, mais en raison de l'infinitude des langages ; aucun langage n'a barre sur un autre, il n'y a pas de métalangage (proposition établie par la psychanalyse), le sujet de l'écriture et/ou de la lecture n'a pas à faire à des objets (les œuvres, les énoncés), mais à des champs (les textes, les énonciations) : il est lui-même pris dans une topologie (une science des lieux de parole). À la conception d'une science positive, qui a été celle de l'histoire et de la critique littéraires, et qui est encore celle de la sémiologie, l'analyse textuelle tend à substituer l'idée d'une science critique, c'est-à-dire d'une science qui met en cause son propre discours.

Ce principe méthodique n'oblige pas forcément à rejeter le travail des sciences canoniques de l'œuvre (histoire, sociologie, etc.), mais entraîne à les utiliser partiellement, librement, et surtout relativement. Ainsi, l'analyse textuelle ne récusera nullement les informations fournies par l'histoire littéraire ou l'histoire générale ; ce qu'elle contestera, c'est le mythe critique selon lequel l'œuvre serait prise dans un mouvement purement évolutif, comme si elle devait toujours être rattachée, appropriée à la personne (civile, historique, passionnelle) d'un auteur, qui en serait le père : à la métaphore de la filiation, du « développement » organique, elle préfère la métaphore du réseau, de l'intertexte, d'un champ surdéterminé, pluriel. Même correction, même déplacement en ce qui concerne la science philologique (dans laquelle on range ici les commentaires interprétatifs) : la critique cherche en général à découvrir le sens de l'œuvre, sens plus ou moins caché et qui est assigné à des niveaux divers, selon les critiques ; l'analyse textuelle récuse l'idée d'un signifié dernier : l'œuvre ne s'arrête pas, ne se ferme pas ; il s'agit moins, dès lors, d'expliquer ou même de décrire, que d'entrer dans le jeu des signifiants : de les énumérer peut-être (si le texte s'y prête), mais sans les hiérarchiser ; l'analyse textuelle est pluraliste.

J. Kristeva a proposé de nommer l'analyse textuelle «  sémanalyse ». Il était en effet nécessaire de distinguer l'analyse du « texte » (au sens que l'on a donné ici à ce mot) de la sémiotique littéraire ; or la différence la plus visible porte sur la référence psychanalytique, présente dans la sémanalyse, absente de la sémiotique littéraire (qui classe seulement les énoncés et décrit leur fonctionnement structural, sans se préoccuper du rapport entre le sujet, le signifiant et l'Autre). La sémanalyse n'est pas une simple méthode classificatoire ; certes, elle s'intéresse à la typologie des genres, mais c'est précisément pour la remplacer par une typologie des textes : son objet, dialectiquement, est le recoupement du phéno-texte et du géno-texte ; ce recoupement constitue ce qu'on appelle, à la suite des postformalistes russes et de Kristeva, un « idéologème », concept qui permet d'articuler le texte sur l'intertexte et de « le penser dans les textes de la société et de l'histoire ».[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

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