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THÉORIE, sciences

L'historicité des théories

Le contresens consiste à tenir pour une faiblesse, une insuffisance de la théorie physique les manifestations éclatantes de sa fécondité, de son dynamisme rationnel. L'historicité de la théorie repose sur son ouverture sur le monde, sur les investigations qu'elle autorise. Elle est le gage de son efficacité. C'est précisément parce qu'une théorie physique refuse de prendre la forme d'un système métaphysique destiné à rendre pleinement et définitivement intelligible la réalité à partir de principes tenus pour absolument fondés, qu'elle ouvre la voie à un travail de production et de rectification de concepts et d'expériences. Aux cartésiens qui voyaient en l'idée d'une action à distance un retour aux qualités occultes, Newton répondait qu'il n'imaginait « point d'hypothèses » : la force d'attraction exercée par les corps les uns sur les autres, capable de rendre compte des mouvements des planètes, demeurait ainsi inexpliquée. Newton, loin de s'en formaliser, tenait ce refus de la recherche des causes ultimes pour la condition de l'autonomie de la recherche scientifique, libre de poursuivre son aventure sans se soucier des autorités philosophiques. Pour mieux asseoir cette liberté, il allait même jusqu'à minorer la dimension spéculative de son travail, et en fournissait une description qui insistait sur sa dimension empirique.

Fréquent, ce contresens est aussi intéressé. Il est porté par la volonté de discréditer la recherche scientifique et de faire prévaloir une autre voie d'accès à la connaissance. Tantôt il s'agira d'une connaissance métaphysique, d'une rencontre de l'absolu, tantôt d'un contact originaire, d'une expérience première et authentique du réel. Sous la forme d'une intuition intellectuelle ou sensible, il s'agit toujours de faire prévaloir – en vue de justifier des principes moraux et politiques –, les évidences immédiates sur les médiations conceptuelles et expérimentales du travail scientifique.

Enfin, ce contresens est à la source de multiples confusions. Les plus courantes se caractérisent par la vision unilatérale et statique du travail scientifique qui les sous-tend. L'histoire des théories étant assimilée à une succession de doctrines qui s'opposent les unes aux autres, on réduira parfois la théorie physique, pour mieux la prémunir contre les démentis ultérieurs, à un répertoire méthodique de faits bien constatés. Ou bien au contraire on fera valoir qu'une certaine théorie, confirmée par l'expérience, est à l'abri de toute critique, et délivre un savoir définitif sur les éléments ultimes du réel. S'il est vrai que les théories physiques ont une histoire, seule l'histoire des sciences permet de préciser, pour certaines d'entre elles, comment cette historicité affecte leur statut.

C'est précisément ce qui confère son intérêt à la définition de la théorie physique proposée par Pierre Duhem dans son célèbre ouvrage La Théorie physique, son objet, sa structure (1906) : « Une théorie physique n'est pas une explication. C'est un système de propositions mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales. » En écartant toute prétention métaphysique de la science, Duhem se situait donc dans le cadre du positivisme. Pourtant, en insistant sur le rôle des principes dans la théorie, il se refusait à voir en elle une simple classification de lois expérimentales. Tout en soulignant le caractère hypothétique des principes théoriques, construits par le savant, il jugeait que la théorie nous révèle un reflet de l'ordre réel. C'est moins à titre de voie moyenne[...]

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