THÉORIE (sociologie)
La théorie se caractérise par des traits qui lui sont souvent attribués : la consistance des propositions principales unies par des liens systématiques, leur pertinence et leur adéquation au domaine considéré, leur fécondité, l’interprétation des régularités qui ne se réduit pas toujours à la découverte de lois, la formulation d’hypothèses, la construction des données, un ensemble de procédures de vérification. Elle dispose d’instruments de formalisation : ceux des mathématiques ne sont qu’un cas particulier, car les outils conceptuels constituent par eux-mêmes des moyens de discerner des traits pertinents, de favoriser des généralisations et de manifester des relations.
On peut observer une diversité de modèles théoriques ajustés aux figures de l’ingénieur, du penseur, du savant (spécialisé, globalisant, etc.) et de postures intellectuelles qui inclinent à s’interroger plutôt sur les causes, le sens, les valeurs, l’esprit du temps, etc. On peut distinguer grosso modo quelques types principaux de théories :
– celles de type descriptif visent à identifier les propriétés permettant de spécifier le sens associé par les individus à différents aspects de l’existence sociale ;
– celles de type formel ont pour objet de mettre en œuvre le symbolisme, notamment mathématique, permettant de représenter de façon satisfaisante des régularités observées ;
– celles de type explicatif s’efforcent de mettre au jour les principes de fonctionnement et de transformation d’univers caractérisés par un ensemble de propriétés morphologiques et structurales. La formalisation qui n’emprunte pas nécessairement la voie du symbolisme y apparaît comme un moment d’une objectivation dont la fin est l’explication.
La théorie suppose la généralisation, mais elle n’est pas pour autant un genre philosophique éthéré traitant de choses présumées profondes ou élevées, et placées soit en propos préliminaire soit en conclusion. Par opposition aussi bien avec la généralité vague qu’avec l’argumentation ad hoc sur un secteur du réel arbitrairement découpé, elle est d’abord une pratique qui se mesure à ses usages concrets, aux questions précises qu’elle permet de poser, à sa fécondité et à sa vertu de généralisation qui permet de dégager des invariants structuraux et de rendre compte des variations, et enfin à son pouvoir d’autorectification. S’il n’y a pas de science sans théorie, la théorie n’est pas un corpus de principes définitifs, un enchaînement d’algorithmes pour résoudre des tâches mécaniques : c’est un ensemble relativement systématique de dispositions à agir rationnellement et réflexivement dans des contextes toujours nouveaux. C’est pourquoi une épistémologie des sciences sociales sans rapport à la recherche risque de n’être qu’un exercice académique voué à imaginer une science sur mesure.
Une théorie se juge à son effet de connaissance, c’est-à-dire qu’elle doit permettre d’apprendre quelque chose à la fois d’objectif et de spécifique qui ne se confonde pas avec la perception spontanée des agents sociaux. Elle n’a pas pour objet de faire une chronique de faits sociaux, d’événements toujours divers et singuliers, mais de rendre raison de ce qu’est le monde social, ce qui suppose la possibilité d’envisager des parentés de structure entre des domaines apparemment éloignés, d’opérer des transferts, et donc de tirer concrètement parti du caractère systématique des concepts et des outils.
Le travail de sociologue s’apprécie d’après son degré de réflexivité, d’après sa capacité de poser la question de ce qu’il fait. C’est pourquoi on ne peut se satisfaire de l’alternative entre l’intuitionnisme qui reprend à son compte les représentations communes et le formalisme qui se contente souvent de les transfigurer sous un langage abstrait : on peut bien[...]
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Écrit par
- Louis PINTO : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.