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THÉRÈSE RAQUIN, Émile Zola Fiche de lecture

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« Un coin de la création vu à travers un tempérament »

Dans la préface de la deuxième édition, Zola, répondant à ses détracteurs, défend son roman en des termes qui montrent que le futur auteur du Roman expérimental (1880) a déjà en tête les grands principes du naturalisme : référence à la science, traitement des personnages comme autant de « cas cliniques », primat du corps sur la psychologie pour expliquer les actions humaines… De cette vision découlent deux caractéristiques : d’une part, l’« hyperréalisme », l’écrivain n’ayant que faire des conventions et du « bon goût », tel un savant disséquant puis retranscrivant ses observations avec une rigueur sans concession ; d’autre part, le déterminisme, moins social ici que purement physiologique.

Reprenant la théorie des tempéraments d’Hippocrate, Zola décrit des « brutes humaines », « dominées par leurs nerfs et leur sang, dépourvues de libre arbitre, entraînées à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair ». La fatalité, en effet, est au cœur du roman, comme de toute l’œuvre de Zola, où elle recoupera par la suite le thème de l’hérédité. C’est elle qui donne au récit sa structure de tragédie en trois actes – l’adultère jusqu’au meurtre, la peur jusqu’au mariage, l’angoisse jusqu’au suicide – dans une marche inexorable de la névrose vers la folie.

Véritable topos de la littérature de la seconde moitié du xixe siècle, la folie est, si l’on peut dire, dans l’air du temps. La presse, alors en plein essor, se délecte des faits divers les plus affreux, tandis que, depuis Pinel et Esquirol, les recherches en neurologie puis en psychiatrie ne cessent de se développer. L’hystérie, tout particulièrement, fascine, comme en témoignent des œuvres aussi différentes que Madame Bovary (1857), de Flaubert, et La Sorcière (1862), de Michelet. Chez Zola, si elle constitue un objet d’étude scientifique, l’aliénation mentale est aussi, et peut-être surtout, une extraordinaire matière littéraire. À travers les cauchemars et les hallucinations qui hantent les personnages, la pathologie psychique apparaît comme l’un des fils qui relient le naturalisme au fantastique et, par voie de conséquence, au romantisme, l’ennemi supposé dont Zola avouait pourtant, avec lucidité : « J'en suis et j’en enrage. »

Toutefois, le motif du délire n’explique pas tout, et l’on comprend que, chez l’auteur de Thérèse Raquin comme bientôt desRougon-Macquart,la vision l’emportera toujours sur la simple description, le réalisme tendra toujours vers le fantastique, le mythologique ou l’épique, au risque de l’excès, voire de la boursouflure. Avec le recul, il se pourrait que ce soit à cette faculté de transfigurer le réel, qu’il s’agisse des personnages, des actes et des situations, que le naturalisme doit sa place dans l’histoire littéraire.

— Guy BELZANE

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  • ZOLA ÉMILE (1840-1902)

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    ...ancienne et malheureuse expérience passionnelle, paraît en 1865. Vivant désormais de sa plume, Zola publie successivement Le Vœu d'une morte (1866), Thérèse Raquin, coup d'envoi de l'esthétique naturaliste (1867), Les Mystères de Marseille (1867), et Madeleine Férat (1868). Son éloge...