THIERRY DE CHARTRES (mort av. 1155)
Thierry est chancelier de la cathédrale de Chartres en 1141 ; avant cette date, Jean de Salisbury l'a eu pour maître à Paris. Il est un des esprits les plus actifs et les plus avancés du xiie siècle, de plain-pied avec le savoir nouveau qui affluait à son époque. Hermann le Dalmate lui dédie en 1143 sa traduction du Planisphère de Ptolémée. Auteur d'un manuel des sept arts libéraux, l'Eptateuchon, Thierry est un des premiers à avoir connu des œuvres logiques d'Aristote jusque-là oubliées (Premiers Analytiques, Topiques, Réfutations sophistiques). Son ambition est d'unir le trivium (arts du langage : grammaire, dialectique, rhétorique) et le quadrivium (arts mathématiques : arithmétique, géométrie, musique, astronomie) pour en faire résulter une culture philosophique neuve. Platonicien comme bien d'autres de ses contemporains, il l'est d'une façon qui lui est propre, faisant penser au Platon pythagorisant dont certains passages du Timée lui proposaient l'exemple. Appliquant la mathématique à la théologie (d'une façon qui fera, trois siècles plus tard, l'admiration de Nicolas de Cues), il exprime au moyen de l'arithmétique la fécondité divine : Dieu est unité, et les rapports de l'unité à elle-même donnent une image des rapports trinitaires ; en outre, la production des nombres à partir de l'unité représente la création, puisque tout être est en tant qu'il est un (Boèce), c'est-à-dire en tant qu'il participe de cette « forme d'être » qu'est l'unité : « La création des nombres est la création des choses ». Mais il dit tout aussi bien que « les noms donnent leur essence aux choses » : cette formule, qui est reprise de Marius Victorinus (ive s.), montre que Thierry liait le platonisme et la grammaire. D'autre part, l'histoire de la création est racontée dans la Genèse, et Thierry s'efforce d'en rendre compte selon les lois d'une physique cohérente : par exemple, les animaux aquatiques sont apparus au cinquième jour, à la suite de la pénétration dans les eaux de la chaleur résultant du mouvement des étoiles. Ce souci d'expliquer les phénomènes par des processus naturels, cet intérêt pour les sciences des choses prennent place dans un large courant d'idées dont l'un des premiers représentants fut Adélhard de Bath, qui fut un des introducteurs en Occident de la science arabe, et dont les Questions naturelles datent du début du xiie siècle.
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Écrit par
- Jean JOLIVET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
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