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BERNHARD THOMAS (1931-1989)

Une parole du refus

Le recul dont on commence à bénéficier confirme l'impression que l'on pouvait avoir il y a nombre d'années déjà : l'œuvre de Bernhard, qui restera sans doute comme l'une des plus grandes du xxe siècle, apparaît comme une immense construction s'appuyant sur les trois piliers des romans, des récits (parfois difficiles à distinguer des premiers dans le principe) et du théâtre, et mettant en jeu, à ce titre, des thèmes et des formes récurrents.

Les romans, de Gel (1963) à Extinction (1986), forment une grande arche dont le point d'équilibre ou la clé de voûte pourrait être Corrections (1975). À l'aspect fragmentaire, à la construction asymétrique de Gel s'oppose l'architecture parfaite d'Extinction, où s'intègrent pratiquement tous les éléments des textes qui les séparent. Il serait vain d'essayer de « résumer » les arguments d'œuvres fondées sur une combinatoire où, comme il est dit dans la pièce La Force de l'habitude (1974), « la langue est un instrument d'idées mathématique ». Les thèmes en sont, grossièrement, les mêmes : un ou des héritiers – un surtout – liquident un héritage, souvent un grand domaine aristocratique autrichien. Pour cela, ils s'enferment (dans une forteresse, une science, un art, ou simplement leur cerveau) et détruisent la configuration diabolique des « origines » où la mère et la ou les sœurs jouent un rôle essentiel ; mais ils vont évidemment aussi à leur propre mort. La mort, la folie, la maladie, le sado-masochisme des rapports entre individus (notamment entre homme et femme) sont les modalités de cet univers, ou les notes de cette musique répétitive et fuguée : depuis Perturbation (1967) et La Plâtrière (1970) jusqu'au Neveu de Wittgenstein (1982) et à Maîtres anciens (1985), en passant par Corrections (1975), où est utilisée la biographie de Wittgenstein et mis en scène un fou génial construisant pour sa sœur une maison idéale qui la détruit ainsi que lui-même. Sans parler d'Extinction, le dernier roman de Bernhard où, enfin, l'acteur principal se trouve être aussi le narrateur d'une destruction achevée, mais retournée en ce qui peut être interprété comme une affirmation de la vie. On a pu dire que, du point de vue de ces thèmes, Bernhard reprenait pour l'inverser la tradition autrichienne du « roman de terroir » d'avant guerre. Les formes, elles, se rattachent à la musique sérielle et aux recherches des années 1950, dans une orchestration bien entendu tout à fait personnelle. L'une de ces particularités formelles est un jeu extrêmement subtil avec des perspectives narratives imbriquées, opposées, tournantes, variées de livre en livre, et correspondant, dans les années 1970-1980, à une grande phrase circulaire qui pousse la syntaxe allemande jusqu'au point extrême d'« irritation » où elle révèle le centre vide de ce tourbillon.

Les « récits », certains plus courts et réunis en recueils (Amras et autres récits, Gallimard, 1987), d'autres ayant l'ampleur de courts romans (Oui, 1978 ; Béton, 1982 ; Le Naufragé, 1983...), ne se distinguent pas fondamentalement de ces derniers, sinon par un aspect plus autobiographique en apparence, et comme placé « en marge » des grandes constructions où se poursuit cependant la même ligne.

<it>Élisabeth II</it>,de Thomas Bernhard - crédits : G. Hartung/ AKG-images

Élisabeth II,de Thomas Bernhard

Le théâtre, en revanche – une vingtaine de pièces à partir de 1970, dont notamment L'Ignorant et le fou (1972), La Société de chasse (1974), La Force de l'habitude (1974), Minetti (1976), Le Faiseur de théâtre (1984), Heldenplatz –, constituerait comme la « marionnettisation » de l'univers des romans (J.-Y. Lartichaux). Le grotesque y est plus apparent, et les monologues parallèles de personnages qui n'en sont pas, les uns et les autres toujours construits selon le principe de[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, maître de conférences de littérature allemande à l'université de Paris-Sorbonne

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Médias

Thomas Bernhard - crédits : Imagno/ Getty Images [Thomas Bernhard, Salzburg, Photographie, 1971]

Thomas Bernhard

<it>Élisabeth II</it>,de Thomas Bernhard - crédits : G. Hartung/ AKG-images

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