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LAWRENCE THOMAS EDWARD (1888-1935)

L'auteur d'une épopée moderne

Admiré en sa qualité d'écrivain par Thomas Hardy, Edward Morgan Forster, Robert Graves, George Bernard Shaw..., en sa qualité de stratège et d'homme d'État par sir Winston Churchill et plusieurs chefs militaires, Lawrence compte beaucoup de détracteurs dont l'un, Richard Aldington, est bandé d'une haine aveuglante contre un « imposteur » qu'il juge entièrement frelaté. De fait, la légende puis le mythe de T. E. Lawrence, dont un film scandaleux vulgarisa les pires aspects, nous cachent assez bien le vrai Lawrence (ou du moins : le vraisemblable).

Sous l'agent de l'Intelligence Service, sous le roi sans couronne d'Arabie, sous le simple soldat Ross ou Shaw qui tenta de dissimuler aux indiscrets les retraites et la retraite du colonel Lawrence, peut-on retrouver un homme et l'auteur des Sept Piliers de la sagesse, épopée en prose de la révolte arabe ? Grâce aux lettres qu'il adresse aux siens, à sa correspondance générale, aux documents de l'Arab Bulletin, et surtout grâce à La Matrice (The Mint), reportage du simple soldat sur les blindés et l'aviation, il n'est pas impossible, trente-cinq ans après sa mort, de retrouver sous les masques cet homme-ci : T. E. (ainsi voulait-il que l'appelassent ceux qui l'aimaient).

À une période où l'on célébrait en lui l'archi-espion de l'Intelligence Service, le faiseur de rois, le tombeur d'un immense empire, succéda le temps du dénigrement, surtout en France, parce que Lawrence avait en effet lutté contre elle au Proche-Orient. Certains critiques français se sont distingués en cette campagne de calomnies : tel blagua Les Gaietés de l'escadrille, tel insulta Lawrence le raté. Malgré ses évidentes préventions contre celui qu'il combattait dans le Proche-Orient, Louis Massignon ne méprisait pas son parastate : plutôt en était-il obsédé à l'excès. Débarrassé de sa légende, cet Irlandais espiègle (imp, impish reviennent souvent dans les témoignages portés par les familiers de T. E.) prend enfin sa vraie grandeur.

Plus d'un demi-siècle après qu'il fut composé, son premier travail sur les châteaux des croisés reste encore « stimulant », au dire des spécialistes ; quoique plusieurs contestent sa traduction de L'Odyssée, le savant helléniste anglais sir Maurice Bowra la juge « de loin la meilleure » en sa langue. Quant aux Sept Piliers, les bons prosateurs anglais y admirent un des monuments de leur littérature : épico-égocentriste et coruscant à l'occasion, tant que vous voudrez ; monumental, sans aucun doute. Pour qui eut la chance de traduire The Mint, les Letters, les notes confidentielles du Bureau arabe, The Oriental Assembly, etc., et d'étudier les variantes de l'écrivain, il est patent que Lawrence fut un des écrivains les plus originaux, un des critiques les plus avisés, une des têtes politiques les plus lucides en ce siècle.

Persuadé que tout le pétrole du Proche-Orient ne vaut pas la vie d'un seul soldat anglais, honteux d'avoir vu démentis par les accords Sykes-Picot – lesquels distribuaient cette part du monde entre les empires anglais et français – les engagements qu'il avait pris envers les chefs de la révolte arabe, celui qui, par amour pour Dahoum, le S. A. (Sheikh Ahmād) de la dédicace des Sept Piliers (I Loved You...), dirigea cette révolte, choisit d'expier, en devenant simple soldat dans une armée de métier où se réfugiaient les chômeurs, les éclopés, les canards boiteux de l'Angleterre, cette puissance et cette gloire qui l'avaient un temps enivré, cette légende aussi qu'il avait quelque peu contribué à diffuser. Comme d'autres en religion il entra en R.A.F. (en aviation). Le hangar fut sa cathédrale. L'introverti put enfin se sentir, sinon tout[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Provence-Aix-Marseille-I

Classification

Médias

Thomas Edward Lawrence - crédits :  Universal History Archive/ Universal Images Group/ Getty Images

Thomas Edward Lawrence

Faysal à la conférence de paix de Paris, 1919 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Faysal à la conférence de paix de Paris, 1919