GAINSBOROUGH THOMAS (1727-1788)
L'originalité du portraitiste
Les portraits de Gainsborough sont généralement mieux connus, et ont été longtemps plus admirés que ses paysages. Cette prééminence pourrait bien être remise en question, à la lumière d'expositions et des travaux exhaustifs publiés par John Hayes, qui ont révélé l'extrême richesse de son œuvre de paysagiste. Cependant, on ne peut manquer de reconnaître la qualité constante de ses portraits, quelle que soit la période considérée. Les critiques du xxe siècle ont révisé le jugement de naïveté qui avait été porté sur les œuvres datant de la décennie 1745-1755 : il est vrai qu'une toile comme Mr. & Mrs Andrews (1749, National Gallery, Londres) a de quoi séduire par son réalisme psychologique, l'originalité de sa composition et la qualité de son arrière-plan. Mais il faut bien admettre que le peintre maîtrise encore mal l'éclairage des modèles, qui reste cru et artificiel, et éprouve des difficultés à les relier au paysage environnant. Il n'en surpasse pas moins aisément Mercier et Hayman, qui avaient pratiqué avant lui le portrait de groupe dans un décor de plein air réaliste.
C'est à Bath que Gainsborough acquiert la virtuosité qu'on lui reconnaît dans l'art du portrait : qu'il représente de belles dames de l'aristocratie aux atours somptueux, d'élégants gentilshommes, ses propres amis acteurs et musiciens, ou encore ses propres filles Margaret et Mary, il manifeste, au dire de ses contemporains, une habileté exceptionnelle à saisir la ressemblance. Il renonce aux poses rigides jadis choisies par Kneller et Lely, et montre la même attirance que Hogarth pour les lignes « serpentines » et les légères torsions du rococo. C'est que Gainsborough ne s'intéresse pas seulement au visage mais à l'ensemble du corps du modèle en tant qu'élément d'un espace pictural. Dans ses meilleurs tableaux, il parvient à intégrer le personnage et l'arrière-plan dans une structure formelle complexe. Ainsi dans le portrait de Mrs. Philip Thicknesse (1760, Art Museum, Cincinnati), le galbe de la viole de gambe, les courbes de la guitare et les amples volumes de la robe bouffante du modèle ébauchent un fascinant contrepoint.
Cette attention portée à l'ensemble de la toile comme espace pictural homogène est une nouveauté en Angleterre. Elle se traduit chez Gainsborough par des exigences particulières lors des séances de pose. Celles-ci commencent dans la pénombre, afin que le peintre, sans être distrait par les détails, puisse esquisser les grandes lignes du tableau. Mary Woodall a pu ainsi écrire qu'il « regardait ses modèles de la même manière qu'il regardait un paysage ». Pour ce qui touche à la physionomie des clients, le peintre se refusait à toute idéalisation, contrairement à Reynolds, répétant avec un solide bon sens que « la ressemblance est la beauté et l'intérêt principal d'un portrait ». Dans le même souci d'authenticité, il préférait faire poser ses modèles dans des vêtements contemporains. Seuls quelques personnages furent peints dans des costumes à la Van Dyck (L'Enfant bleu, 1770, Huntington Art Gallery, San Marino), et cela à la demande de clients qui possédaient déjà des œuvres du xviie siècle. Quel que soit le costume choisi, il était toujours exécuté par le peintre lui-même, qui se plaisait à détailler soieries et mousselines, écharpes de gaze et coiffures sophistiquées. Non sans quelque ironie probablement, il apportait le même soin à peindre la fourrure immaculée des petits chiens blancs que ses riches clientes voulaient également immortaliser sur la toile (La Promenade nationale, 1785, National Gallery, Londres). Pour ces morceaux de bravoure, il avait mis au point une technique très personnelle à base de hachures rapidement posées au moyen de très longs[...]
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Écrit par
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