GAINSBOROUGH THOMAS (1727-1788)
Paysage et imagination
Gainsborough a souvent répété que le paysage était son genre pictural de prédilection, la réalisation de portraits étant seulement son gagne-pain. Cela ne saurait être mis en doute, si l'on en juge par les centaines de dessins et aquarelles qu'il produisit tout au long de sa carrière, pour son propre délassement, et par les quelque trois cents paysages à l'huile qu'il réalisa sans vraiment chercher à les vendre. Très sensible aux influences, Gainsborough a mis longtemps à trouver son style propre dans ce domaine. C'est par l'intermédiaire de Wijnants et de Ruisdael, dont il copia un certain nombre de toiles, qu'il aborda ce genre ; mais ses paysages de la période d'Ipswich sont aussi fondés sur une observation attentive de la campagne du Suffolk, qu'il appréciait d'une façon moins sentimentale que Constable, mais tout aussi précise. Pourtant, Gainsborough ne s'intéressait pas à la représentation exacte d'un lieu, comme son contemporain Paul Sandby ; à ses yeux, un paysage peint devait être avant tout une composition plastique. À lord Hardwicke, qui lui avait demandé une vue topographique en 1764, il répondit poliment que « pour ce qui était des vues exactes d'après nature dans ce pays, il n'avait jamais connu de lieu qui offre un sujet aussi intéressant que les plus faibles imitations de Gaspard ou de Claude ». Malgré son titre très localisé, le Bois de Cornard (1748, National Gallery, Londres) est une composition imaginaire, très inspirée de Ruisdael. Les paysages de la période de Bath marquent, sous l'influence de Rubens, un tournant décisif dans sa manière. La véhémence de la touche et les contrastes dramatiques d'ombre et de lumière sont ses caractéristiques nouvelles, perceptibles dans le Paysage boisé de montagne (1763, Art Museum, Worcester, Massachusetts). Mais les œuvres de Claude Lorrain, si appréciées des connaisseurs britanniques à cette époque, ont aussi inspiré le peintre, bien qu'il les ait jugées « banales et insipides ». Enfin, l'art si typiquement britannique des jardins paysagers, alors illustré par Lancelot Brown, a laissé sa marque dans ses toiles de la période londonienne finale : on le voit au soin nouveau qu'il met à étager les plans et à ménager une ouverture sur le lointain, tout en jouant sur les couleurs contrastées de la végétation. Dans l'étonnant Paysage rocheux de montagne (1783, National Gallery of Scotland, Édimbourg), on voit clairement ce qui fait l'apport individuel de Gainsborough à l'école anglaise de paysage : sa maîtrise du rythme plastique à des fins d'expressivité psychologique, sensible dans la variété des textures et des valeurs. Afin de stimuler son imagination plastique, le peintre inventait des paysages en chambre, à l'aide de fragments de mousse, de plantes et de cailloux ; il pouvait ainsi jouer librement mais concrètement avec les volumes et les surfaces, sans référence à une quelconque topographie. Comme dans ses meilleurs portraits, il rend complètement expressif tout l'espace pictural, sans hiérarchisation des parties. Reynolds ne s'y est pas trompé, lorsqu'il a loué « sa façon d'élaborer ensemble tous les éléments du tableau – le tout simultanément, de la même manière que la nature lorsqu'elle crée ».
La distinction traditionnelle entre le portrait et le paysage doit par conséquent être nuancée, dans la mesure où le peintre conçoit dans tous les cas ses toiles en termes purement plastiques. En outre, elle s'efface tout à fait dans les scènes de genre rustiques qu'affectionna toute sa vie Gainsborough, et que les Anglais désignent sous le nom de fancy-pictures. Il s'agit de paysages avec figures, qui sont au début dans la lignée des pastorales rococo (Paysans allant au marché de bon[...]
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Écrit par
- Jacques CARRÉ : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal
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