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THOMAS L'OBSCUR, Maurice Blanchot Fiche de lecture

Thomas l'obscur, premier roman de Maurice Blanchot, connut deux versions, l'une en 1941, l'autre en 1950, versions qui ne sont pas étrangères au travail critique de l'auteur sur la littérature (Faux Pas, 1943 ; L'Espace littéraire, 1955). Blanchot travailla à son roman de 1932 à 1940. Les articles qui l'accueillirent soulignèrent tous l'étrangeté d'un texte à propos duquel on évoqua Giraudoux, Kafka, Proust, Lautréamont ou les romantiques allemands. Le contraste est en effet violent entre la pureté d'une langue déliée et le sentiment d'étouffement qui se dégage du roman. La seconde version, à laquelle Blanchot travailla en 1947-1948, éclaire la première et permet de mieux comprendre les enjeux de l'écriture. Il note dans le court avant-propos de la deuxième édition : « La présente version n'ajoute rien, mais comme elle ôte beaucoup, on peut la dire autre et même toute nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s'en croit le centre, l'on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n'exprime elle-même que la recherche d'un centre imaginaire. » C'est comme le noyau du roman que livre ainsi cette nouvelle version (le texte a été réduit des deux tiers), la seule qui sera rééditée. Noyau cependant obscur puisqu'il s'agit d'un « centre invisible » vers lequel toute l'œuvre, et pas seulement ce roman, est tournée.

Un roman sans intrigue

Le personnage central du roman, Thomas, mort et vivant, n'est connu que par son prénom (que l'on retrouvera dans d'autres romans de l'auteur) : « Sous le nom de Thomas, dans cet état choisi où l'on pouvait me nommer et me décrire, j'avais l'aspect d'un vivant quelconque, mais comme je n'étais réel que sous le nom de mort, je laissai transparaître, sang mêlé à mon sang, l'esprit funeste des ombres et le miroir de chacun de mes jours refléta les images confondues de la mort et de la vie. » « Homme sans qualités », sans psychologie ni place sociale assignables, Thomas est neutre, effacé, et sa présence fuit dès que l'on tente de la saisir. À l'image de la mer qu'évoquent les premières pages du livre, il apparaît à la fois terriblement présent par son corps et quasi absent, comme retiré du rivage des vivants.

« Thomas s'assit et regarda la mer » : dès cette première phrase, le lecteur, happé par le récit, est sous le pouvoir d'une fascination dont il ne peut se défaire, comme contraint à entrer dans la nuit sans repos que travaille l'écriture. Réduit à l'anecdote, le récit perd tout sens et intérêt. L'intrigue tient à peine en quelques phrases, qui ne rendraient pas compte de la réalité de l'œuvre. Les zones explorées par l'écriture – du moins est-ce là une des thèses de Blanchot – ne peuvent, ramenées à la discursivité, que perdre leur teneur. Certes, il y a bien la rencontre de Thomas avec Anne, une jeune femme qui devient sa maîtresse, l'agonie puis la mort mystérieuse de cette dernière, la peur, l'angoisse, le sentiment d'étouffement et d'oppression qui alourdit l'atmosphère au point de la rendre irrespirable. Mais tout cela ne permet pas de reconstituer la trame d'un récit dont on pressent qu'il se joue à un autre niveau. « Ce qui ne se voit pas, ne se comprend pas, forme tout auprès de moi le niveau d'une autre nuit, pourtant la même, à laquelle j'aspire indiciblement, quoique déjà confondu avec elle. »

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