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MCGUANE THOMAS (1939- )

L’Ouest, le vrai

Dans La Fête des corbeaux, il reste plus que des traces de la verve fougueuse et libre des premières nouvelles de Commentplumerunpigeon(To Skin a Cat, 1986, trad. fr. 1990), tant McGuane reste « une star du langage », pour reprendre le mot de Saul Bellow. Lui qui, dans les années 1970, fut surnommé Capitaine Barjot lorsqu’il était scénariste à Hollywood – notamment pour TheMissouri Breaks d’Arthur Penn, 1976 – délaisse le cinéma pour mieux défendre le genre de la nouvelle sur les traces de ses prédécesseurs favoris, Crane, O’Connor, Updike ou Hemingway.

Le Montana forme depuis plus de trente ans le décor des romans de McGuane, de ses scénarios, de ses manuels passionnés sur les chevaux et la pêche à la mouche, comme de ses nouvelles, dont LaFêtedescorbeaux, florilège de son talent de conteur. Ces dix-sept textes fourmillent d’inventions, d’embardées rocambolesques pour donner vie à une ruralité secrète, tendue et instable, à une Amérique sans confiance qui va au fil de l’eau. L’acuité du regard, mêlée à l’empathie née d’une sorte de voisinage quotidien, fait allègrement passer d’une « fille de la Prairie » au « Bon Samaritain » ou au chaman, des esseulés aux arnaqueurs en quête d’un bon filon, des campeurs sauvages aux Indiens de la fête des corbeaux avec le pain frit, les tipis et la nuit à la belle étoile. La grand-mère vivra une journée mémorable, benoîtement commencée par un pique-nique au bord de la rivière, tandis que le mari congédié, accueilli par une famille en armes, emportera un ragoût pour toute consolation. Dans ces nouvelles, des liens forts unissent filiations et fratries, même si chacun tente un jour de « mettre les voiles », et la disparition du passé comme des aînés est vécue douloureusement. « Où avais-je été toute ma vie ? J’avais grandi sous tellement d’ombres qu’elles s’étalaient au-dessus de moi comme les feuillets d’un livre » confie le fils de cette mère-reine à l’agonie, dont il découvre l’aventure secrète. Telle « histoire lacustre », alanguie dans la touffeur du mois d’août, emporte Adèle au-delà d’une idylle incertaine, tout comme l’érotisme contrarié lors d’une partie de pêche à Canyon Ferry prouve que Lucifer est partout. La terreur de l’amour perdu habite les personnages, la mort rôde par petites touches, l’ordinaire dérape et, comme sur un coup de tête, verse en cascade dans l’extravagance. La couleur locale forte, qui est l’une des marques de l’écrivain, autorise pourtant, malgré l’isolement, une diversité de scènes et de gens avec leurs pensées directes et leurs émotions à fleur de peau. Tout craque comme la glace après l’hiver des sentiments. À partir de l’échantillon de ces solitaires du Montana résonne une authenticité mais aussi l’universalité des angoisses. L’intensité des situations, l’imagination foisonnante tiennent toujours en éveil. De rebonds en ruptures, la malice de McGuane inspire le rythme de son écriture rapide dans la violence, tandis que sa nostalgie d’un monde déchu donne une belle ampleur lyrique au paysage.

— Liliane KERJAN

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