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MORE THOMAS (1477 ou 1478-1535)

L'humaniste : le frère jumeau d'Érasme

Parallèlement à l'homme d'action et de pouvoir s'épanouit en More l'humaniste et le lettré qui vont bientôt enchanter Érasme et l'Europe. Sa rencontre avec Érasme (1499) marque les débuts d'une indéfectible amitié, d'une collaboration et d'une communion intellectuelles fécondes qui coïncident avec les plus belles années de l'humanisme chrétien (1505-1520). Longtemps assoupie, isolée par son insularité du reste de l'Europe, l'Angleterre se réveille enfin avec le siècle et va devenir ce riche foyer culturel, cette « ruche bourdonnante » qu'admirera Érasme en 1519. Un moment tenté par la vie monastique, réfugié à la chartreuse de Londres (env. 1501-1505) où il mène une vie d'ascèse, de prières et d'étude, More participe intensément à ce mouvement de renouveau intellectuel. Il se donne une large culture biblique et patristique, dévore Grégoire, Augustin, Jérôme, Eusèbe, Basile, Jean Chrysostome, Thomas d'Aquin et même Nicolas de Lyre, qu'il juge good and great clerk. Sa bibliothèque, retrouvée, comprendra cent trente-neuf ouvrages latins, quarante grecs et un seul anglais (une traduction du De consolatione philosophiae de Boèce). On retrouve chez lui la même ardeur intellectuelle, le même enthousiasme conquérant, le même désir de possession encyclopédique du savoir que chez son modèle Pic de La Mirandole, dont il traduit la Vie et quelques traités aux environs de 1504 (l'ensemble, The Life of Pico della Mirandola. The Writings of the Same, sera publié en 1511). Comme lui « naturellement joyeux », More orne son âme « de science, de vertu et de sagesse ». C'est à cette époque qu'il devient définitivement, aux côtés d'Alcuin, de Bède le Vénérable, de Jean de Salisbury, et avant Milton, l'un des plus grands latinistes de l'histoire littéraire anglaise, et qu'il perfectionne sa connaissance du grec en compagnie de William Lily, le futur directeur de Saint Paul's School. De leurs exercices studieux naîtront les Épigrammes latines, traduites de l'Anthologie grecque, que More publiera en 1518, à la suite de la deuxième édition bâloise de l'Utopie, et une traduction des Dialogues de Lucien, entreprise avec Érasme en 1505 et qui paraît à Paris en novembre 1506. En 1501, il assiste aux cours sur les Hiérarchies célestes du pseudo-Denys l'Aréopagite que donne, à Saint Paul, son ancien condisciple Grocyn, et à ceux que professe Linacre sur les Meteorologica d'Aristote. Invité par Grocyn à Saint Lawrence's, il y fait lui-même une série de conférences, malheureusement perdues, sur La Cité de Dieu de saint Augustin. Enfin, il subit largement l'influence de John Colet, doyen de Saint Paul en 1504, dont les cours magistraux (donnés à Oxford en 1499) sur les Épîtres de saint Paul et les nouvelles méthodes d'exégèse (essentiellement un retour au sens littéral et historique des textes) sont à l'origine de cette théologie positive dont Érasme et More seront bientôt les partisans convaincus.

C'est l'émergence de Luther qui mettra fin à la période humaniste de More. Mais, avant de consacrer tous ses efforts à la défense de l'Église et de la foi menacées, More compose encore à partir de 1513 son Histoire de Richard III, qui constitue le premier ouvrage historique anglais d'inspiration humaniste (More s'y révèle l'égal de Tacite par la lucidité pénétrante avec laquelle il analyse les mobiles des actions humaines) et dont la réussite littéraire indéniable inspirera au génie dramatique de Shakespeare une inoubliable fresque baroque. En septembre 1516, il fait enfin parvenir à Érasme le chef-d'œuvre déroutant auquel son nom est désormais associé, l'Utopie. Ce véritable « manifeste de l'humanisme[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française, directeur du département des langues romanes, The Johns Hopkins University, Baltimore

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<em>Thomas More</em>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Thomas More, H. Holbein le Jeune

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