NORTON THOMAS (1532-1584)
Né à Londres, élevé à Cambridge, puis étudiant en droit à l'Inner Temple (1555), Thomas Norton fit une carrière politique : il devint City Remembrancer (fonctionnaire chargé des rapports avec la Couronne) et entra au Parlement. Ce puritain, qui traduisit l'Institution chrétienne de Calvin (1561) et exhorta en 1574 le lord-maire de Londres à surveiller les lieux « à peine honnêtes » (scarcely honest) où se donnaient des pièces et à proscrire les « assemblées où des femmes italiennes se livraient à des « culbutes »[tomblings, des danses, sans aucun doute !] lascives, éhontées et peu naturelles » (il est vrai que c'était en période de peste), n'en écrivit pas moins, avec sir Thomas Sackville (1536-1608), la première tragédie anglaise, Gorboduc, jouée devant la reine le 28 janvier 1561 et publiée en 1565.
Gorboduc est une ébauche malhabile et sans grâce de tragédie, mais c'est une pièce qui a du prestige et du poids. Elle vient en ligne droite de Sénèque pour la rhétorique et les discours, et reçut de sir Philip Sidney (1554-1586), qui n'aimait guère les dramaturges ses contemporains, l'éloge célèbre de s'être élevée à la hauteur du style de Sénèque (Apologie for Poetry, Défense de la poésie, écrit vers 1580, publié en 1598). Norton en écrivit les trois premiers actes, et Sackville les deux derniers, qui sont d'une plus belle venue. Sackville était des deux le vrai poète.
Le thème de la tragédie est, au départ, analogue à celui du Roi Lear. Gorboduc, le vieux roi, partage son royaume entre ses deux fils, Ferrex et Porrex, avant sa mort, et la guerre civile éclate inévitablement. Les deux frères s'entre-tuent, Gorboduc et la reine sont assassinés. Le royaume mutilé retrouvera-t-il son unité ? Un noble ambitieux, Fergus, se propose ; les sages conseillers du roi défunt se concertent : l'avenir est entre les mains de Dieu. Ce thème, les longs discours politiques et moraux, la conclusion moralisante, tout rapproche Gorboduc des homélies dramatiques du Miroir des magistrats (1559), dont Sackville fut l'un des auteurs. Gorboduc pourrait y prendre place sans dommage (disons que Gorboduc c'est le Miroir en action). Chaque acte est précédé d'une pantomime symbolique et suivi d'une intervention du chœur : on ne pouvait se méprendre sur le sens de la pièce ni sur les intentions des auteurs. Un des mérites certains de la tragédie, c'est qu'elle est écrite en vers blancs (si raide et si mécanique soit-il, le vers blanc sera assoupli par l'usage et les exigences de l'expression dramatique), instrument parfait des dramaturges de la grande période.
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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Autres références
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ÉLISABÉTHAIN THÉÂTRE
- Écrit par Henri FLUCHÈRE
- 10 600 mots
- 2 médias
La première tragédie anglaise digne de ce nom, Gorboduc (1561) par Thomas Norton (1532-1584) et Thomas Sackville (1536-1608), jouée à l'Inner Temple (une des quatre écoles de la faculté de droit), est construite sur le modèle de la tragédie sénéquéenne. C'est l'histoire d'une guerre civile entre deux...