PIKETTY THOMAS (1971- )
Inégalités, fiscalité et concentration du patrimoine
L’évolution personnelle et intellectuelle de Piketty le conduit d’une adhésion à un « socialisme moderniste » dans les années 1990-2000 (Vive la gauche américaine ! Chroniques 1998-2004, 2004), à des positions plus radicales. En 2007 – cela lui vaut d’ailleurs son poste à la direction de l’École d’économie de Paris –, il s’élève avec vigueur contre les projets de Nicolas Sarkozy, qui aboutissent à la loi dite TEPA et à la mise en place du « bouclier fiscal ». Quelques années plus tôt, en 2001 (Les Hauts Revenus en France au XXe siècle : inégalités et redistribution, 1901-1998, Grasset), il a décrit les tendances longues de l’évolution des hauts revenus en France, et montré à quel point l’État fiscal a un rôle correcteur en matière d’inégalités. Ses travaux des années 2000 le conduisent à des résultats encore plus nets : la hausse des inégalités résulte, en particulier aux États-Unis, de l’explosion des très hauts revenus, tirés par la financiarisation. Le constat converge avec les analyses, qu’elles soient théoriques ou empiriques, de nombreux économistes « hétérodoxes » – analyses à l’origine du slogan « Nous sommes les 99 %, ils sont les 1p. % » du mouvement altermondialiste Occupy Wall Street de 2011.
Comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman et plusieurs autres économistes, Piketty devient donc plus « critique » à la fin des années 2000 à l’égard du capitalisme financier. Son ouvrage de 2013, Le Capital au XXIe siècle, ouvre un vaste débat sur le rôle de l’impôt pour corriger les inégalités au profit des rentiers. Il y développe l’idée selon laquelle, sur les longues périodes, le taux de croissance de l’économie est inférieur au rendement du capital, ce qui tend à privilégier les plus riches et à renforcer leur prédominance, au détriment des logiques méritocratiques. Deux tendances contradictoires s’opposent ainsi : une force « démocratique » liée à la diffusion des connaissances et des savoirs, une autre, inégalitaire, liée à la concentration accrue des patrimoines. Dans la période exceptionnelle des Trente Glorieuses, la tendance démocratique et égalitaire s’est temporairement imposée, mais le phénomène s’est inversé depuis les années 1980 dans la plupart des économies développées, où la croissance redevenue modérée favorise à nouveau la concentration des patrimoines au détriment de l’égalité des revenus – comme ce fut le cas depuis la naissance du capitalisme jusqu’aux deux guerres mondiales. Pour Piketty, seule une réforme fiscale mondiale de grande ampleur peut corriger les tendances négatives engendrées par ce mouvement lié à la financiarisation des économies.
Fort de la célébrité procurée par le succès mondial du Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty devient un acteur engagé du débat public, notamment à travers des éditoriaux réguliers dans le journal Libération. En 2017, il est membre de l'équipe de campagne de Benoît Hamon, le candidat à la présidentielle du Parti socialiste, et défend dans ce cadre la création d'un « revenu universel ». En 2019, il publie Capital et Idéologie (présenté comme un prolongement de son précédent ouvrage) : une histoire des inégalités, de la notion de propriété et des systèmes de pensée qui les ont justifiées à travers les siècles. En 2021, dans Une brève histoire de l’égalité, il tente de résumer ses recherches, tout en montrant comment, sur le temps long, les inégalités n’ont cessé de se réduire et en appelant à la poursuite de ce mouvement. En 2023, il cosigne avec Julia Cagé, enseignante-chercheuse et économiste, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France (1789-2022)qui analyse les résultats électoraux en France depuis la Révolution,[...]
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Écrit par
- Frédéric LEBARON : professeur de sociologie à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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