PYNCHON THOMAS (1937- )
Thomas Pynchon, né le 8 mai 1937 à Long Island, s'est rendu célèbre aux États-Unis, sans jamais paraître sur la scène publique, avec un livre d'une beauté et d'une richesse éblouissantes, L'Arc-en-ciel de la gravité (1973). L'attention portée à son œuvre ultérieure a bénéficié de la légende depuis lors construite autour de l'introuvable écrivain, mais elle en a également pâti : l'on commente souvent chaque nouveau livre de Pynchon, au risque d'un enthousiasme de commande un peu évasif. Or l'apparition et la disparition, le questionnement ou la contestation du spectacle sont des enjeux à la fois esthétiques, politiques et épistémologiques, que l'on retrouve dans les six romans parus entre 1963 et 2006 : l'absence de Pynchon est bien une fidélité à l'œuvre, laquelle ne dévoile jamais ses sources intimes bien que l'auteur concède, dans une préface tardive à ses nouvelles de jeunesse (L'Homme qui apprenait lentement, 1984), que toute fiction est autobiographique. Mais cela passe par un art de la fuite et du travestissement qu'il a porté à un suprême degré de complexité.
Le souci historique
L'histoire familiale de Thomas Pynchon, du reste, se rattache à l'histoire nationale et littéraire. Son ancêtre puritain émigra en Amérique dès 1630 et fut un notable indocile de la Nouvelle-Angleterre, auteur d'un traité religieux controversé qui lui fit reprendre le chemin de l'Angleterre en laissant à son fils le soin de ses affaires ; l'on trouve trace de cette généalogie dans L'Arc-en-ciel de la gravité, où l'hérésie tient lieu de métaphore d'une dissension plus générale. Par ailleurs, ce nom de famille figure dans La Maison aux sept pignons (1851), où Nathaniel Hawthorne imaginait une usurpation d'héritage par un certain « Pyncheon », et ses conséquences sur plusieurs générations, de la malédiction des coupables jusqu'à la réparation du tort. Cette métaphore possible d'une Amérique confisquée, Pynchon, après d'autres, l'a relayée et réinventée dans la foule obscure des déshérités qui traverse ses récits, à la « marge hantée du miroir » qu'explorait Hawthorne dans La Lettre écarlate.
Fils de bonne famille, Pynchon s'engage dans la marine à dix-huit ans, avant d'étudier la physique et la littérature à l'université Cornell ; c'est là qu'il publie, en 1958, sa première nouvelle. Mais il a déjà écrit, dès 1952, dans la revue de son lycée : sa « Colonne du hamster » anonyme, parue six fois, propose des textes fantasques inspirés de l'histoire anglaise, entre satire ménippée, récit d'espionnage et parodie de Dante ou de Milton. À quinze ans, Pynchon avait expérimenté sa manière savante et extravagante, et élaboré une partie de son matériau imaginaire et politique : le souci de la justice, l'aversion pour le pouvoir, la vision de l'Histoire comme guerre civile, la fascination du complot, le goût de la duplicité. Dès 1963, après avoir vécu dans le New York beatnik et publié plusieurs nouvelles, puis travaillé comme rédacteur technique pour Boeing à Seattle, il exerce dans V., son premier roman, « le droit à l'anxiété de l'imagination ou au souci historique ». Alors qu'il est installé à Mexico, il « disparaît », fuyant le journaliste venu photographier ce jeune lauréat du prix Faulkner. Le souci historique ne le quittera plus, y compris dans ses deux récits des États-Unis contemporains : La Vente à la criée du lot 49, paru en 1966, année où il donne au New York Times un article sur les émeutes raciales de Los Angeles (« A Journey into the Mind of Watts »), et Vineland (1990). Entre-temps, il a écrit, à Mexico puis en Californie, L'Arc-en-ciel de la gravité, situé en Europe à la fin de la[...]
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Écrit par
- Anne BATTESTI : maître de conférences en littérature américaine à l'université de Paris-X-Nanterre
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