SHADWELL THOMAS (1642-1692)
Né dans le Norfolk, Thomas Shadwell est étudiant à Gonville and Caius College (Cambridge), puis passe au Middle Temple (Londres). Selon la coutume des jeunes intellectuels, il voyage quelque temps sur le continent. À son retour, il prend le goût du théâtre et fait jouer sa première pièce, Les Amants maussades (The Sullen Lovers) en 1668. C'est une adaptation des Fâcheux de Molière, dont les comédies servent souvent de point de départ à des dramaturges de la Restauration. On retrouve aussi du Misanthrope dans The Sullen Lovers, mais Molière est accommodé au climat de la période, c'est-à-dire que le wit — l'esprit — prend le pas sur le sentiment et sur les impératifs de la sagesse bourgeoise qui caractérise le théâtre de Molière. Par ailleurs, Shadwell est un grand admirateur de Ben Jonson, dont il se proclame le disciple. Enfin, il se déclare aussi l'admirateur de George Etherege (1634-1691), le premier et peut-être le plus fin des auteurs de la Restauration. Si bien que Shadwell, soumis à la triple influence de ces maîtres si différents, a fort à faire pour être personnel. Il caricature Molière, il n'a ni la verve ni la vigueur de Ben Jonson pour camper ses excentriques, et n'a pas non plus la finesse d'Etherege pour nous les faire aimer.
Il n'en écrit pas moins une quinzaine de pièces qui font de lui un auteur aimé du public ; en attendant Congreve, il assure la transition. Mais, pour nous, il n'est que l'auteur de comédies de mœurs assez ternes, malgré quelques passages enlevés, comédies qui intéressent davantage l'histoire d'une société que l'historien de la littérature. The Humorists (1671) ne manque pas de détails licencieux ; Epsom Wells (1673) est à la fois une imitation de Ben Jonson et une vulgarisation d'Etherege ; The Virtuoso (1676) nous présente des « humeurs » dans un style satirique bien conventionnel ; The Libertine (1676), qui a l'honneur d'être accompagné d'une musique de Purcell, propose une intéressante variation pré-sadienne sur le thème de Don Juan (John, son héros, viole les femmes dans les églises, met le feu à un couvent, empoisonne la seule femme qui l'aime vraiment, tue son propre père, se pose en apôtre de la nature et déclare : « Plus le danger est grand, plus grand est le plaisir »). Une veuve fidèle (A True Widow, 1679) reprend la convention de la pièce dans la pièce, et contient quelques plaisantes remarques ; Bury Fair (1689), considéré comme sa meilleure comédie, doit beaucoup de son comique verbal aux Précieuses ridicules, comme son Miser à L'Avare. Peut-être convient-il d'ajouter que ce faiseur de pièces se permit de refaire le Timon d'Athènes de Shakespeare (« Je peux vraiment affirmer, dit-il après cet exploit, que j'en ai fait une pièce ». Cependant, Shakespeare connaît un pire destin lorsque Le Roi Lear est récrit par Nahum Tate (1652-1715).
Mais tout comme Nahum Tate est mis au pilori dans la Dunciade de Pope, Shadwell est brocardé par Dryden. Shadwell et Dryden sont amis à l'origine, puisque Dryden a écrit un prologue pour A True Widow. Mais, après la violente attaque de Dryden contre Shaftesbury, le chef de l'opposition whig, dans son poème Absalom and Achitophel (1681), suivi de The Medal (1682 ; allusion à la médaille frappée par les whigs pour commémorer l'acquittement de Shaftesbury par le Grand Jury du Middlesex), Shadwell, qui est whig, riposte par un poème, The Medal of John Bayes (1682) où Dryden est fâcheusement malmené. Furieux, le poète tory lance son Mac Flecknoe, où il imagine que Mac Flecknoe (poète irlandais mort en 1678) lègue à Shadwell son pouvoir absolu sur le royaume des imbéciles, tandis que, dans une suite à Absalom and Achitophel, écrite par Nahum Tate, il ajoute deux cents vers où il attaque méchamment Shadwell et un autre[...]
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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