WOOLSTON THOMAS (1669-1733)
Précurseur de l'esprit critique qui, au xviiie siècle, accablera la religion chrétienne de son ironie, Woolston se rattache aussi à la tradition de Johannes Denck en privilégiant l'esprit aux dépens de la lettre. Mais, au regard des ridicules qu'il se plaît à souligner dans les textes sacrés, l'explication allégorique qu'il leur substitue manque de conviction et relève davantage de l'art de la justification saugrenue pratiquée par Swift. Né à Northampton, Thomas Woolston fait ses études à l'université de Cambridge, où il appartiendra, jusqu'en 1721, au collège de Sidney. En 1705, L'Ancienne Apologie pour la vérité de la religion chrétienne contre les juifs et les gentils renouvelée lui assure une certaine renommée. En 1720, son esprit critique s'exerce dans une Dissertatio de Pontii Pilati ad Tiberium epistola circa res Jesu Christi gestas, où il nie l'authenticité de la lettre de Pilate à Tibère. La même année, il prend parti pour l'interprétation allégorique des Écritures dans Origenis Adamantii Renati epistola ad doctores Whitbeium, Waterlandium, Whistonium, aliosque litteratos hujus disputatores, circa fidem vere orthodoxam et scripturarum interpretationem. Son scepticisme s'exprime plus librement dans la querelle qui s'était élevée sur les fondements du christianisme entre les théologiens et le déiste Collins. Son Modérateur entre un incrédule et un apostat, écrit avec son ami Whiston, lui vaut la persécution et la haine de l'archevêque de Londres, à qui il dédicace malicieusement, en 1727, ses six Discours sur les miracles de Jésus-Christ. Le livre fait scandale. Whiston rompt avec l'auteur, qui est condamné à un an de prison et à une amende qu'il ne peut payer. Seul Samuel Clarke, en raison de la liberté de pensée qu'il professe, sollicite sa libération. Voltaire, qui ne conçoit l'audace que dans les limites de la prudence, parlera de l'« infâme Woolston ». Refusant les conditions de son élargissement, qui étaient de ne plus rien publier de choquant, Woolston mourra le 27 janvier 1733. Il avait déclaré : « C'est ici un combat que tous les hommes sont forcés de subir et que je subis non seulement avec patience mais encore de bon cœur. »
Les Discours sur les miracles de Jésus-Christ s'en prennent, sur un ton burlesque, à celui que ses actions, à moins d'être interprétées symboliquement, désignent comme « un imposteur plein de fourberie ». Il se moque de la Résurrection, habile mise en scène où le cadavre, dérobé par les disciples, passe pour s'être évaporé en Dieu. S'étonnant que le Christ ait permis aux démons de détruire un troupeau de cochons, il s'écrie : « Où était donc la bonté et la justice d'une telle action ? » À propos de Lazare, il ironise : « Afin qu'il ne manque rien à la malignité des incrédules, ils diront que Jésus-Christ appela Lazare à haute voix comme s'il eût été aussi sourd que le devait être un homme mort. » Et il ajoute : « À Dieu ne plaise que j'aie les mêmes idées que ces mécréants. »
En toute occasion, Woolston s'insurge contre l'intolérance et la persécution, il stigmatise Calvin pour le meurtre de Michel Servet, refuse l'autorité des Écritures et plus encore celle du clergé. Ainsi sa plume acerbe rend-elle hommage au plus haut dignitaire de Londres « avec autant de justice que celle qui vous est due par la persécution que vous avez sagement excitée contre le Modérateur comme contre un incrédule, qui vous en rend ici ses très humbles actions de grâce, et qui se déclare l'admirateur de votre zèle, de votre sagesse et de votre conduite ». L'ouvrage, injustement méconnu, annonce la Théologie portative de D'Holbach, le Compère Matthieu de Dulaurens et le Citateur de Pigault-Lebrun.[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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