RODRIGUES TIAGO (1977- )
Né à Lisbonne le 16 février 1977, de parents intellectuels engagés contre le régime dictatorial de l’Estado Novo de Salazar, Tiago Rodrigues est acteur, auteur, metteur en scène, pédagogue, cinéaste. À l’origine de son œuvre théâtrale, la passion des mots, « cette capacité de donner de la valeur à ce qui est invisible ». Enfant, il est initié par la lecture – un combat inconscient contre la solitude – à la scène, avec le désir de dire les mots des autres à voix haute et celui d’écrire pour eux, dans un continuel mouvement de partage.
Réinventer le jeu théâtral
Tiago Rodrigues orchestre des créations collectives que caractérise l’absence de hiérarchie, dans l’esprit de la compagnie flamande tg STAN, rencontrée à la fin des années 1990. En 2003, il fonde avec Magda Bizarro la compagnie Mundo Perfeito, reconnue par les institutions théâtrales en France et en Europe. À la tête du Teatro Nacional Dona Maria II (Lisbonne) de 2015 à 2021, il privilégie l’économie de moyens caractéristique d’un théâtre populaire. Dans ce cadre initial, la présence physique des corps sur la scène compte autant que la prose poétique dont il transmet la fascination sur le plateau, tout autant que la distance dans son approche du tragique.
Ce désir de réappropriation conduit le dramaturge à revisiter l’écriture des classiques : le spectacle By Heartsur le« Sonnet 30 » de Shakespeare (2014) est suivi de Bovary (2016)et de The WayShe Dies (2019), sur la transgressive Anna Karénine de Tolstoï tentant d’échapper à sa condition. Quant à sa lecture de la tragédie grecque (Iphigénie, Agamemnon, Électre, 2015), elle propose une vision personnelle subtile du contact entre les vivants et les morts.
Les spectacles de Tiago Rodrigues se reconnaissent à la liberté inventive du jeu du comédien. Au festival d’Avignon 2015, il présente sa version en portugais d’Antoine et Cléopâtre d’après Shakespeare. Les deux interprètes masculin et féminin échangent leur rôle et, quand l’un agit, l’autre en fait le récit simultané. Les mouvements, gestes et regards du duo mettent au jour la lutte traditionnelle entre l’amour et l’ambition. Au-delà du genre, l’amant ne fait qu’appréhender le monde à travers la sensibilité de l’aimée.
Bovary offre un regard effervescent sur l’œuvre, qui suit le procès intenté en 1857 à Flaubert pour outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs. Trois fils serrés – l’un juridique, dans la langue des avocats, le deuxième artistique avec des citations d’extraits du roman et le troisième intime avec la lettre imaginaire d’un Flaubert amoureux, composée à partir de sa correspondance – viennent composer un paysage mental où la modernité de l’écriture se met au service de la sensation. Usant de l’implicite, l’écrivain est à la fois homme et femme, amant et maîtresse, époux éconduit, impression fugitive. Créée en Avignon en 2021 avec Isabelle Huppert et Adama Diop, La Cerisaie de Tchekhov montre la liberté des corps bousculés, le vertige d’un bouleversement historique et social, l’instabilité devenue permanente. Dans le lieu de l’enfance retrouvée reste la nostalgie des peines et des bonheurs, l’éloge inépuisable de leur souvenir.
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
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Médias