TIERS ÉTAT
Terme qui désigne, sous l'Ancien Régime, l'ensemble des roturiers, tous les hommes libres (à l'exclusion des serfs) n'appartenant pas aux deux ordres privilégiés (noblesse et clergé). Cette très vaste catégorie sociale, issue de la civilisation féodale, compte, en réalité, des statuts fort divers qui, depuis le Moyen Âge ont évolué différemment selon les régions d'Europe. Le tiers état, affranchi par la Révolution française (celle des Constituants de 1789, non celle de la République de 1793, radicalement populaire), n'est pas « la nation entière moins la noblesse et le clergé » telle que le définit Augustin Thierry (Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du tiers état, 1853) ; il en est une partie seulement, composante sociologique d'un ensemble en formation (bourgeoisie-classes moyennes), dont les intérêts, l'idéologie et les comportements sont admirablement résumés dans la formule de M. Homais : « Je suis [...] pour les immortels principes de 89 » (Madame Bovary). Selon les points de vue politiques ou l'axe de la recherche historique (économique et sociale, ou simplement juridique), la disparition du troisième ordre a donné lieu à des interprétations aussi variées que les analyses de la première expérience révolutionnaire des Temps modernes.
En tant qu'ordre, le tiers état est l'un des éléments de la constitution coutumière régissant la hiérarchie et les rapports de pouvoir dans la France monarchique. Un bilan institutionnel sommaire, portant sur le rôle déterminant du tiers dans la formation du nouveau système d'organisation, met en évidence à la fois les supports sociaux du centralisme et la transmission de certains traits politiques au-delà de la Révolution.
L'histoire du tiers état est d'abord liée à la renaissance progressive des villes, opposant parfois, dès la fin du xie siècle, à la relative stagnation économique de la féodalité rurale le dynamisme des marchands et artisans. L'extrême variété est la règle dans l'aménagement de ces communes médiévales, en relations tantôt étroites (ville de bourgeoisie ou de prévôté) et tantôt lâches (commune jurée) avec les seigneurs. Ces municipalités ont eu ainsi à conquérir des statuts plus ou moins autonomes, qui sont en bien des cas le point de départ de prérogatives (justice, police, finances) exercées par des agents nommés ou des fermiers. Pourtant, au xviiie siècle, la commune est une institution politiquement morte, n'étant plus qu'une circonscription dans le vaste dispositif administratif territorial dont les intendants, désignés par le roi, sont les maîtres. En fait, depuis Louis XIV surtout, qui a assaini par des moyens énergiques les finances des villes, le pouvoir royal tient bien en main l'organisation urbaine. La tutelle administrative, encore dénoncée de nos jours, témoigne, sous l'Ancien Régime, de l'inaptitude du tiers état à promouvoir en France le self-government, tant admiré par les libéraux anglomanes au xixe siècle.
Même constat sur le plan des instances de négociation ou de discussion avec le roi : assemblées d'ordres, de notables, états particuliers, états généraux. Issues des anciennes pratiques féodales liant l'imposition au consentement des assujettis, ces assemblées vont perdre en France leur importance politique (au rebours de la pratique anglaise), la monarchie ayant peu à peu conquis le droit souverain d'imposer. Comparé au clergé qui, lui, a su faire barrage au fisc par une organisation perfectionnée (assemblées, agence du clergé de France), le tiers état semble, à première vue, fort désarmé vis-à-vis de l'État. Mais l'apparente déchéance institutionnelle du tiers, tellement favorable aux progrès de l'administration royale dans les domaines aussi essentiels que le pouvoir communal ou l'impôt, trouve explication[...]
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Écrit par
- Pierre LEGENDRE : auteur
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