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TIGRE EN PAPIER (O. Rolin) Fiche de lecture

Depuis ses premiers romans – Phénomène futur, 1983, mais surtout Le Bar des flots noirs, 1987 – les livres d'Olivier Rolin suivent le mouvement circulaire de la mémoire, décrivent des personnages hantés par des souvenirs qui reviennent, par apparitions successives, par chaînes d'images se dévoilant de plus en plus clairement à la conscience. Dans Tigre en papier (Seuil, 2002), la DS gris argent « Remember », voiture mythologique des années 1960 baptisée d'un nom proustien, tourne dans la nuit autour de Paris en suivant les panneaux lumineux du périphérique, pendant que son chauffeur, Martin, revient sur les événements passés, sur l'enlèvement du général en chef Chalais, P-DG de Framatome, sur les aphorismes du Petit Livre rouge du président Mao ou sur l'atmosphère des quartiers populaires « à l'heure abominable où les prolétaires courent vers le chagrin, sous le ciel pâlissant ». Il tente ainsi de dévider « l'imbroglio de l'histoire » devant Marie, jeune fille de vingt-quatre ans, fille de Treize, ami et compagnon de Martin pendant ces années consacrées à la Cause, selon le terme – plein d'ironie et pourtant fidèle à la vérité historique puisque son organe officiel s'appelait La Cause du peuple – que choisit Rolin pour désigner la Gauche prolétarienne. Treize doit son surnom à la photographie d'un groupe de douze personnes, alors qu'il se cache derrière l'appareil, comme prédestiné à disparaître : il est mort quand Marie avait quatre ans, en tombant des échafaudages de la tour sud de l'église Saint-Sulpice.

Comme Martin, Olivier Rolin a été, au début des années 1970, le chef militaire de la Gauche prolétarienne, et les expéditions et personnages qu'il décrit s'inspirent de faits et de personnes réels. La distance du temps, la difficulté d'imaginer aujourd'hui des carnets de tickets de métro cousus, de couleur jaune pâle pour les secondes, ou de donner une réalité aux mots « vespasienne » ou « passage clouté » accentuent les effets comiques d'actions parfois dérisoires comme le commando contre le concours félin de Cabourg. Olivier Rolin se penche sur son passé avec l'humour un peu grinçant des illusions perdues auxquelles il tient à rester fidèle et dont il traque les origines : la génération des militants de la Cause était promise à être sacrifiée par l'histoire, à rester en marge des actions héroïques dont la Libération avait clos la nécessité, à mener une existence petite-bourgeoise rythmée par les progrès des arts ménagers, hantée néanmoins par « la proximité de cette énorme masse morte, la guerre mondiale, la défaite, la collaboration […] toutes ces saloperies dont on avait honte sans en être responsables, qui étaient comme une putréfaction, une gangrène dans le corps de la France ». La Révolution venue d'ailleurs, de la « zone des Tempêtes », de la lutte active au Vietnam ou en Bolivie contre le « tigre en papier » de l'impérialisme américain, était un voile jeté sur l'effroi devant la vie. Martin n'élude pas « l'énorme et ridicule tremblement » devant le sexe de la femme, peur qui se « dénie et [se] déguise » en invoquant la « priorité de la politique ».

L'exploration des « régions extrêmes de la mémoire » mène encore plus loin le narrateur. Olivier Rolin a accompli pour le journal Le Monde une série de reportages sur les traces des « espaces sentimentaux » par lesquels Hemingway, Borges, Kawabata, Nabokov ou Michaux sont « attachés au monde » (Paysages originels, Seuil, 1999). Martin, lui, part au Vietnam afin d'explorer « la nébuleuse primitive d'où [il est] issu ». Il revient sur les bords du Mékong, là où son père est « mort par suite des blessures par accident contractées en service[...]

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