BURTON TIM (1958- )
Un merveilleux inquiétant
La même sensibilité s'exprime dans Edward aux mains d'argent (1990), premier film tourné avec Johnny Depp, qui va devenir une sorte d'alter ego du cinéaste. Dans ce conte en images, le héros est un garçon surnaturel qui fait des merveilles avec les ciseaux qu'il a pour mains, mais qui, par ses dons mêmes, sera exclu du monde des hommes et retournera vivre seul dans sa maison gothique. Batman n'est pas si loin : du tout-puissant justicier américain, Tim Burton a fait un être mélancolique, en proie à des traumas névrotiques, hanté par la mort, cloîtré dans le secret de sa double personnalité. Plus que l'action, où il n'excelle pas, c'est l'exercice du portrait qui intéresse le cinéaste. Dans Batman Returns, il donnera libre cours à ce plaisir avec une galerie de créatures étonnantes dont les rencontres et les duels constituent la seule véritable ligne narrative du film. Corps au croisement de l'humain et de l'animal, noirceur expressionniste des décors : Batman Returns tend vers l'abstraction comme vers le dévoilement de pulsions étranges, mortifères, derrière un jeu de masques toujours marqué par l'univers du cirque. Capable de donner une âme au plus criant artifice (les petits hommes verts de Mars Attacks !), mais aussi de rendre artificielle la moindre touche de réalisme (dans Mars Attacks !, la comédie strictement humaine n'est guère réussie), Tim Burton semble heureusement condamné à inventer encore et encore le cinéma qui pourra servir de cadre à son imaginaire.
Il lui faut cependant prendre en compte un principe de réalité intransigeant : le succès public est le premier impératif des studios américains, qui ont donné à Tim Burton les moyens de mettre ses rêves en images, mais peuvent toujours les lui reprendre. Cette menace tacite s'est faite plus concrète avec les échecs commerciaux de Ed Wood, et surtout de Mars Attacks !, au budget nettement plus conséquent. Sans renoncer à son goût pour une splendeur visuelle qui libère la magie des songes, le cinéaste a fait avec Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999) un pas vers un cinéma plus nerveux, où le récit et les scènes d'action gouvernent aussi l'attention du spectateur. Adapté d'une nouvelle de Washington Irving, The Legend of Sleepy Hollow (1820), un des textes fondateurs de la littérature américaine, le film nous transporte dans une communauté de colons hollandais du Nouveau Monde. Là, un mystérieux cavalier sans tête semble se livrer à un rituel macabre en décapitant les habitants d'un petit village. Le jeune et innocent policier (Johnny Depp) qui vient mener l'enquête découvrira peu à peu „les coulisses“ de ces décollations spectaculaires. Parallèlement, Tim Burton réaffirme, derrière des scènes sanglantes, une sensibilité au monde de l'enfance et aux sentiments de solitude qui s'y rattachent. C'est aussi au cinéma de son enfance qu'il revient, à travers une esthétique qui rappelle parfois les fameux films fantastiques de la Hammer, tout en réalisant une œuvre pour le public d'aujourd'hui. Cette harmonie entre passé et présent est également un des enjeux de son remake de La Planète des singes (2001), d'après le roman de Pierre Boulle, dont furent tirés, à la fin des années 1970, une série de films qui firent les beaux jours du cinéma commercial américain.
Faisant suite à Big Fish (2003), Charlie et la chocolaterie (2005) est une adaptation du livre de Roald Dahl, best-seller de la littérature enfantine des années 1960. À l'occasion d'un concours, cinq enfants sont invités à passer une journée dans la chocolaterie de Willy Wonka, un industriel excentrique, à nouveau interprété par Johnny Depp. Mais l'usine merveilleuse s'avère pleine de dangers, et les enfants tombent l'un après l'autre dans les[...]
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Écrit par
- Frédéric STRAUSS : journaliste
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