TINTORET (1519-1594)
La maturité
Désormais, Tintoret, dans la plénitude de sa maturité, a atteint à une telle maîtrise de ses moyens d'expression qu'il peut affronter l'exécution des deux immenses toiles du chœur de la Madonna dell'Orto : Moïse recevant les tables de la Loi (dans la partie inférieure l'artiste a représenté l'adoration du Veau d'or) et Le Jugement dernier. Ces deux œuvres révèlent une conception originale ; elles se rattachent à des motifs thématiques que le peintre rencontra au cours de ses méditations sur les textes sacrés. Une comparaison avec le Jugement que Michel-Ange composa antérieurement apparaît inévitable, mais, si l'on peut affirmer que Tintoret a bien emprunté certains motifs comme la figure « serpentinata », en revanche, l'intuition de la puissance du geste retenu, la spatialité multiple, qui attire le spectateur comme dans un tourbillon, sont fondamentalement différentes.
Au cours de ces années débute l'entreprise extraordinaire de la décoration de la Scuola di San Rocco. Cette association laïque charitable avait été fondée pour l'assistance des malades durant les épidémies de peste ; elle devint un institut de charité au sens large, acquérant une importance sociale, et donc politique, surtout dans les moments de crises provoqués par les guerres ou les famines. Tintoret ne laissa pas échapper l'occasion d'une œuvre qui convenait si bien à son esprit religieux et à sa dévotion au saint. S'étant assuré, en offrant un Saint Roch en gloire, la réalisation du premier groupe de décoration (salle de l'Albergo, 1564-1567) représentant des scènes de la Passion dominées par la dramatique Crucifixion, il poursuivra l'exécution de cet immense ex-voto en plusieurs étapes : décoration de la salle du premier étage (1575-1581), avec des scènes de l'Ancien Testament sur le plafond et des épisodes de la vie du Christ sur les murs ; décoration, toujours sur de vastes toiles, du rez-de-chaussée, où les épisodes du Nouveau Testament se rattachent surtout à une exaltation de la Vierge (1582-1587). Le caractère essentiellement autographe de presque toute l'œuvre permet de suivre l'évolution de la fin de la maturité et de la féconde vieillesse de Jacopo. Un programme réalisé au cours des ans fait de cet ensemble un document exceptionnel sur la conception religieuse du maître, qui exalte le rôle charitable de la Scuola et la consolation qu'apporte la foi aux misères physiques et morales. Suivant les lignes directrices de la biblia pauperum, le poème biblique est narré avec une grande richesse de motifs stylistiques : les foules tumultueuses, saisies dans des attitudes désordonnées, modelées par des lumières rasantes, alternent avec des scènes solennelles de méditation ; les grands panneaux, où la foule anonyme est guidée par le sentiment de l'ensemble – que la musique contemporaine est en train de découvrir (Zarlino, Gabrieli) –, contrastent avec les petits compartiments représentant quelques figures liées par une tension structurale ; la prédominance des scènes se déroulant en plein air, dans de vastes espaces, finit par dissoudre la présence humaine, comme dans les deux petites figures de saintes méditant, où la conception luministe et la réduction chromatique aboutissent à de mystérieuses vibrations qui incitent à évoquer Rembrandt. Alors que l'atelier réalise les grands cycles célébrant les gloires de Venise au palais ducal (1577-1590) et les Fastes des Gonzague pour le duc de Mantoue (1578-1580) sous le contrôle constant du maître, l'imagination créatrice de Tintoret se déplace plus librement dans des œuvres comme La Cène de l'église San Giorgio à Venise.
Il faut évoquer, enfin, l'abondante galerie de portraits que Tintoret a laissée et que la critique moderne a reconstituée dans son ampleur. Ce sont des[...]
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Écrit par
- Anna PALLUCCHINI : directeur au Centre international d'éducation artistique, U.N.E.S.C.O.
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Médias
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