TIRSO DE MOLINA (1580 env.-1648)
Peu d'œuvres de la littérature d'Occident ont eu la fortune de L'Abuseur de Séville et l'invité de pierre (El Burlador de Sevilla y convidado de piedra), le premier Don Juan. Passé à l'état de mythe, ce qui n'est pas courant pour la création particulière d'un pays, d'un siècle et d'un homme, ce premier don Juan est resté pratiquement inconnu de tous ceux, innombrables, qui, à leur façon, ont abordé ou traité le « donjuanisme ». Et pourtant, par des voies directes ou détournées, notoires ou ignorées, tous les ruisseaux, toutes les rivières, tous les fleuves donjuanistes découlent de la même source. Rien que pour cela, Tirso de Molina se range à une place d'honneur dans ce qu'on appelait de son temps la république des lettres. Mais ce n'est pas son seul titre à siéger dans cet aréopage. Lui arracherait-on don Juan, comme certains érudits s'y sont efforcés, Tirso n'en resterait pas moins un des meilleurs dramaturges, un des prosateurs les plus subtils du Siècle d'or espagnol.
Un théâtre né au cloître
Originaire de Madrid où il vit très probablement le jour (sa date de naissance fut longtemps controversée et l'on ne sait toujours rien sur son ascendance), Gabriel Téllez, dit Tirso de Molina, entra dans l'ordre de la Merci en 1600. Il y fit profession le 21 janvier 1601 au couvent de San Antolín, à Guadalajara. Dès lors, il devait exercer des charges, prédicateur à Saint-Domingue, commandeur de couvent, définiteur de province, chroniqueur général, lesquelles montrent assez que sa vie monastique absorba une part énorme de son énergie et aussi de son activité créatrice comme en témoigne sa considérable Histoire générale de l'ordre de Notre-Dame de la Merci (Historia de la orden de la Merced), sans parler d'autres œuvres austères comme la Vie de la sainte mère doña María de Cervellón (Vida de María Cervellón), l'Acte de contrition (Acto de contrición) ou le très important recueil fait de morceaux divers, mais le plus souvent édifiants, qui s'intitule Instruire plaisamment (Deleitar aprovechando) et qui fut signé et daté à Tolède en 1632. C'est parallèlement à sa tâche de religieux que Tirso de Molina écrivit une œuvre dramatique parfois si hardie qu'elle lui valut d'être traduit, en 1625, devant la junte de Réformation, tribunal civil créé par le comte-duc d'Olivarès pour veiller sur les bonnes mœurs, puis, en 1640, d'être exilé à Cuenca par le général de la Merci, lors de la visite canonique des couvents de Castille. Mais ces sanctions ne signifient nullement que Fray Gabriel Téllez ait abandonné la voie qu'il avait choisie dans sa jeunesse. Elles ne signifient pas non plus que son ordre lui avait retiré sa confiance. Fray Gabriel fut élu, en 1645, commandeur du couvent de Soria. Il était définiteur de Castille extra capitulum lorsqu'il mourut au couvent d'Almazán.
Cette conjonction, comme d'autres non moins singulières, ne saurait étonner que des esprits peu avertis des réalités de l'Espagne du xvie et du xviie siècle. Elle ouvre simplement le débat sur la question que se posent les spécialistes, pour y répondre de diverses façons : le théâtre de Tirso est-il ou non un théâtre de pure édification ?
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