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TITAN, Jean Paul Fiche de lecture

Une constellation de Titans

Titan n'est pas en premier lieu un ouvrage politique. Jean Paul se proposait de montrer les tendances et les limites de son époque, de fustiger notamment toutes les formes de démesure : « Titan veut dire Anti-Titan ; qui cherche à prendre d'assaut le ciel retombe en enfer, de même que chaque montagne finit par s'aplanir en vallée », écrit-il dans une lettre à F. H. Jacobi le 8 octobre 1803. C'est pourquoi le parcours d'Albano doit être lu à la lumière du destin qui attend les autres personnages du roman : ils disparaissent presque tous de façon tragique. Parmi ces figures titanesques, évoquons notamment le sympathique satiriste Schoppe, esprit persifleur, ardent républicain qui ne cesse de fustiger le provincialisme allemand, la mesquinerie des marchands et des aristocrates. Tous les lecteurs de Titan ont été frappés également par la figure impressionnante de Roquairol, personnage cynique et faustien. Sevré de littérature et d'émotions esthétiques, cette victime de la modernité et de ses mondes imaginaires, incapable d'éprouver de réels sentiments, finit par se suicider. Il faudrait encore évoquer les jeunes femmes dont s'éprend Albano : Liane, trop diaphane, vouée à la mort, Linda, au contraire, trop sensuelle et trop dynamique...

Avant même de remarquer la richesse de cette constellation de Titans, avant de tenir l'ensemble des fils qui tissent cette intrigue saturée de rebondissement et de machinations fantastiques, le lecteur sera frappé par l'écriture jean-paulienne. Admirateur de l'écrivain anglais Laurence Sterne (1713-1768), l'auteur de Titan est en effet le spécialiste de la narration à bâtons rompus, de l'aphorisme et du commentaire, de la métaphore rare, de l'érudition ludique. La parole du narrateur, tantôt enjouée, tantôt lyrique, les notes de bas de page, les digressions, les lettres des divers protagonistes, les discours des satiristes concourent à faire du roman de Jean Paul un texte éminemment polyphonique. Face à ces éléments de diffraction du discours romanesque, il faut souligner la composition « musicale » de l'ensemble du roman. Jean Paul construit sa narration autour de moments forts à tonalité utopique : descriptions fluides des rêves d'Albano (« Enfin, dans la fraîcheur des heures d'après-minuit, il sentit ses sens fatigués et déficients entraînés vers la montagne magnétique du sommeil. – Mais quel rêve le suivit sur ce paisible mont ! Il était couché sur le cratère du mont Hekla. »), de paysages (la célèbre description des Alpes, au début du roman), de promenades, de lettres émues qui célèbrent l'amitié, narration de la mort de Liane, de Roquairol, de Schoppe, du voyage qu'Albano effectue en Italie... C'est l'alternance de ces passages sublimes et des passages satiriques qui a attiré la plupart des lecteurs de Jean Paul, fascinés par la richesse langagière et thématique d'un texte que ses contemporains avaient plutôt boudé.

— Christian HELMREICH

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Écrit par

  • : agrégé d'allemand, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-VIII

Classification

Autres références

  • JEAN PAUL, JOHANN PAUL FRIEDRICH RICHTER dit (1763-1825)

    • Écrit par
    • 2 408 mots
    ...les plus riches aussi, tout nourris par l'élaboration intellectuelle et affective d'expériences que l'auteur entend considérer comme désormais révolues. C'est d'abord le volumineux Titan (1800-1803), qui met en scène, critique et veut condamner l'individualisme exacerbé en « titanisme » génial,...