TITE-LIVE (59 av. J.-C. env.-17)
Mise en œuvre littéraire
Tandis qu'un écrivain comme Salluste imitait la manière de Thucydide et, surtout, celle des historiens archaïques de langue latine, Tite-Live s'inspire de Cicéron – qui avait regretté que l'on n'eût pas écrit, de son temps, une histoire de Rome. Il veut composer ses récits à la manière d'une narratio oratoire et, surtout, être clair, même au prix d'une certaine verbosité, que les Anciens lui ont parfois reprochée.
Tite-Live croit fermement que ce sont les hommes qui font l'histoire. Aussi fait-il le portrait de ceux qui jouent un rôle prépondérant dans les événements. Au début du livre XXI, lorsque va commencer la deuxième guerre punique, il décrit Hannibal, physiquement et moralement, cherchant dans le caractère du personnage l'explication de ses actes futurs. De la même façon, la conclusion de la deuxième guerre punique lui apparaît dans la bataille de Zama, qui mit face à face Hannibal et Scipion, et la victoire, croit-il, appartint au « meilleur » des deux chefs, à celui qui possédait la plus grande valeur morale.
Une conséquence, encore, de cette conception, est le grand nombre de discours que l'on trouve dans son œuvre. Ces discours, reconstruits, parfois imaginés de toutes pièces, traduisent l'idée que l'historien se fait des hommes dont il est censé rapporter les paroles.
Mais Tite-Live ne serait pas romain s'il n'avait, aussi, le sens des foules, des groupes humains. Le Sénat, le peuple vivent et agissent sous nos yeux. Tite-Live analyse leurs sentiments, leurs réactions comme il le fait pour des personnages isolés. Chez lui le peuple a un caractère bien défini, qu'il croit retrouver, toujours le même, à toutes les époques : épris de liberté, mais respectueux de l'ordre établi, scrupuleux à l'égard des biens d'autrui (les « sécessions » de la plèbe ne s'accompagnent ni de pillage ni de violence) et dans l'exécution des devoirs envers les dieux. De la même façon, le Sénat, au moins pour la période dont traite l'œuvre conservée, est formé d'hommes qui mettent par-dessus tout le bien de l'État, sont désintéressés, mais jaloux de leurs prérogatives, orgueilleux et impitoyables dans l'exécution des lois. C'est par la pratique des grandes vertus chères aux Romains : la loyauté (fides), la justice, à l'intérieur comme envers les autres peuples, le respect des rites (ceux qui les négligent mènent les armées à la défaite) et des règles du droit, public et privé, que Tite-Live explique la grandeur de Rome et sa réussite. Personnellement assez sceptique à l'égard des fables et des mythes de la religion officielle, il ne méconnaît pas la force que celle-ci représente, et l'on dit qu'il aida Auguste en l'incitant à restaurer les anciens sanctuaires.
Souvent, depuis le xviiie siècle, objet de la critique des historiens, Tite-Live, aujourd'hui, apparaît comme assez exact, à la lumière des découvertes archéologiques, même sur des points aussi incertains que les premiers temps de Rome, et les excès de l'hypercritique sont corrigés, permettant de lire sans arrière-pensée une œuvre qui contribue à nous donner la conscience de ce que fut, réellement, la grandeur de Rome.
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Écrit par
- Pierre GRIMAL : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
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LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) - La littérature
- Écrit par Pierre GRIMAL
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Ce n'est certainement pas un hasard si le plus notable historien qui écrivit sous Auguste fut un rhéteur originaire de Padoue,Tite-Live, homme d'école et non plus familier du Forum et de la Curie. Son œuvre se place entièrement sous le « règne » d'Auguste, entre 25 avant J.-C. et 9 après J.-C. Soucieux,...